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Comment communiquer pour attirer les nouvelles générations vers l’agriculture ?


TNC le 10/12/2024 à 04:49
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Les jeunes apprécient les témoignages de professionnels pour voir, concrètement, comment ils travaillent. (© Mikhail Konoplev, Adobe Stock)

Si l’on veut rendre l’agriculture plus attractive pour les jeunes, il importe d’adapter la communication à leurs attentes et modes de fonctionnement. C’est-à-dire à leur rapport très pragmatique au travail, où ils doivent se sentir utiles, à leur besoin d’explications, de transparence et de relations humaines conviviales. Ils sont aussi sensibles aux messages véhiculés par les professionnels eux-mêmes, et les collaborateurs des entreprises susceptibles de les embaucher. Alors que la main-d’œuvre salariée tend à se développer, les agriculteurs doivent tenir compte de ces éléments.

« Nous ne sommes pas au pied du mur, mais dans le mur. Nous ne parviendrons pas à renouveler les générations d’agriculteurs. Il ne faut pas compter sur une arrivée massive de Nima (non issu du milieu agricole), ni sur une féminisation de l’agriculture significative. 30 % de femmes dans ce secteur d’activité, il en faudrait plus de 50 % ! Ne nous enfermons pas dans ces signaux faibles, essayons plutôt de relever le défi du renouvellement des actifs agricoles pour maintenir nos outils et notre tissu productif. »

Le mot « installation » problématique en soi.

En ouverture du grand débat du Space/Syrpa/Agriculteurs de Bretagne, François Purseigle, professeurs des universités en sociologie à l’Institut national polytechnique de Toulouse, dépeint un tableau plutôt sombre. « Là où le bât blesse » principalement, selon lui, c’est le décalage entre l’offre d’exploitations à reprendre et la demande des porteurs de projet, aux profils variés, y compris dans les transmissions agricoles familiales, « les enfants n’arrivant pas à se projeter dans le couple de leurs parents » notamment lorsque la relation entre eux est capitalistique et que la conjointe n’est pas cheffe d’exploitation.

François Purseigle considère le mot « installation » comme problématique en soi. « Parlons de création ou de reprise d’activité comme pour les professions libérales, suggère-t-il. Cela fait davantage ressortir les aspects stratégiques du métier d’agriculteur, la capacité d’analyse, d’anticipation, de projection qu’il faut avoir pour l’exercer. Le monde agricole a un gros travail de déconstruction à faire là-dessus. »

« Les jeunes, reflet des transformations sociétales »

« Des conflits générationnels, il y en a toujours eu. Un phénomène plus nouveau, pour Yves Fantou, dirigeant de la société Fantou et président de Culture Viande, est l’augmentation des maladies professionnelles, alors que le travail est moins dur qu’autrefois », avec en parallèle une hausse du turn-over. Marlène Legay, psychologue et fondatrice de Vague de sens, estime quant à elle que « les jeunes ne sont que le reflet des transformations de la société dans son ensemble. »

Un rapport au travail « très pragmatique »

Outre leurs parcours atypiques, de plus en plus fréquents, et les carrières longues dans la même entreprise, qui le sont de moins en moins, ils abordent le travail de façon « très pragmatique ». « Ils veulent savoir en quoi ils peuvent être utiles. » Depuis la crise sanitaire du Covid-19 surtout, qui « a bousculé nombre de certitudes », ils ont « une urgence de vivre » et de « profiter de l’instant présent ». Leur épanouissement personnel est essentiel, sachant que leur métier doit y contribuer. D’où le retour vers des professions qui ont du sens, « où les résultats sont palpables », et « l’agriculture est bien placée » pour répondre à ces aspirations, juge Valérie Heyser.

Les jeunes veulent être utiles.

La directrice de l’Anefa d’Ille-et-Vilaine a vu arriver des gens de tout horizon et de tout âge, avec parfois de hauts niveaux de formation dans d’autres domaines. « Beaucoup viennent de l’hôtellerie/restauration et recherchent des horaires plus réguliers, ce qui peut paraître paradoxal, ou de la santé et des soins à la personne, où ne pas pouvoir exercer leur profession comme ils l’aimeraient est une grande frustration. » « Attention aux surdiplômés au poste de salarié agricole, qui pourraient vite s’ennuyer, alerte Yves Fantou. Il faut que chacun soit à sa juste place et s’y sente bien. »

Face aux nouveaux modes de perception et d’action des jeunes générations, si l’on veut les attirer vers l’agriculture comme vers tout autre secteur d’ailleurs, il faut changer la manière de communiquer à leur égard, met en avant Marlène Legay. « Il faut passer d’une communication implicite à explicite, exhorte-t-elle. Expliquer, verbaliser, rassure et renforce l’engagement et la prise d’initiatives. Ayez en tête que tout ce qui n’est pas dit n’existe pas. » Yves Fantou est lui aussi convaincu de l’intérêt d’être transparent. « On peut dire « non » ou que ça ne va pas mais avec des explications, des arguments », étaye-t-il.

« D’une communication implicite à explicite »

Savoir s’adresser aux jeunes et comprendre comment ils fonctionnent est important pour les exploitants agricoles qui de plus en plus, avec la taille des exploitations qui progresse et la main-d’œuvre familiale qui diminue, emploient des salariés. « Recruter, manager, fidéliser : des compétences à acquérir pour les agriculteurs, d’autant que les nouvelles générations attendent un management participatif, avec de l’échange et une ambiance conviviale », précise Valérie Heyser. « Manager, comme communiquer, s’apprend, il y a pas mal de formations dans ce domaine. Nous incitons les exploitants à les suivre. »

Verbaliser, expliquer.

Marlène Legay a rencontré des dizaines de jeunes de 15 à 30 ans, via des micro-trottoirs, des entretiens. L’ambiance, les relations avec les collègues et le manager sont les éléments auxquels ils accordent le plus d’attention. Le relationnel, levier numéro 1 de fidélisation, est d’autant moins secondaire qu’ils en parlent autour d’eux et c’est ce qui peut faire la différence entre deux entreprises qui cherchent à embaucher. Le salaire est bien sûr important, mais vient après. À noter : leur rapport décomplexé à l’argent. Par ailleurs, « même si leur vision est courtermiste, ils ont besoin de perspectives, de voir qu’on peut leur proposer autre chose. »

L’ambiance plus importante que le salaire.

Relativement préoccupant par contre, les premiers mots à l’esprit des jeunes interrogés à propos du monde du travail : « le stress », « l’inquiétude », voire « la peur ». Les premiers signaux renvoyés par l’employeur à l’entretien d’embauche, au cours de la visite de la ferme et de l’accueil du salarié, sont donc déterminants puisqu’ils conforteront ou infirmeront ces craintes. L’opinion et le discours des collègues priment sur ceux des managers : 57 % des enquêtés ont plus confiance dans les collaborateurs, et 34 % même s’ils ont quitté la structure, que dans l’entreprise (6 %) et les médias (3 %).

Le monde du travail fait peur.

S’adapter aux jeunes générations

À un éleveur dans la salle se plaignant que les salariés rechignent à travailler le week-end et tard le soir, malgré les contraintes liées aux animaux entre autres, et laissent les chefs d’exploitation gérer les problèmes seuls, Yves Fantou rétorque : « Nous sommes en 2024, nous n’avons plus non plus de médecins tard le soir et le week-end. Nous ne pouvons pas aller contre ces évolutions, il faut faire avec et mieux, s’y adapter. L’astreinte du soir et des week-ends peut s’organiser pour être vivable. »

« Ne tombons pas dans le piège « chez nous, ce n’est pas possible, on ne peut faire aucun aménagement » », met en garde Valérie Heyser. La situation est similaire dans plein de métiers. Alors elle invite les agriculteurs à remettre à plat leur organisation, quitte à bousculer leurs habitudes. Certaines choses, pas toutes évidemment, peuvent évoluer.

De la flexibilité.

La question des horaires reflète davantage celle de leur flexibilité, poursuit Marlène Legay. Un système « donnant-donnant » où l’on est prêt à finir plus tard si l’on peut s’éclipser, en pleine journée, pour une raison personnelle. Là encore, l’agriculteur employeur doit faire prendre conscience des impacts négatifs à ne pas être présent. Autrement dit : « Montrer que le salarié est un maillon d’une chaîne de valeur. » On peut même aller jusqu’à le confronter aux conséquences de ses manquements. Une pratique formatrice. « Le comportement ou les propos visés ne sont en général pas reproduits », fait remarquer Marlène Legay.

Des messages incarnés et transparents

Yves Fantou appelle, par ailleurs, à ne plus évoquer en permanence les difficultés de recrutement en agriculture. « Totalement contre-productif ! Ça fait fuir. » Valérie Heyser préfère les transformer en « opportunité d’emploi ». Un micro-trottoir réalisé auprès de collégiens autour de Rennes est éloquent : agriculteur est une profession, au contact de la nature et des animaux, qui les séduit mais tous sont rebutés par les contraintes et le manque de revenu.

Yves Fantou enchaîne sur la gestion des départs. Ici encore, il prône la transparence sur les motifs côté employeur et salarié, et vis-à-vis du reste de l’équipe. Il s’agit de prendre les devants pour éviter les mauvaises interprétations, les rumeurs. Sachant que l’effet « boomerang » – partir quelque temps de l’entreprise avant d’y revenir ensuite, juste pour voir comment cela se passe ailleurs, avoir une autre expérience – devient de plus en plus prégnant. « Les jeunes partent pour un problème de rémunération et postulent à nouveau pour retrouver l’ambiance agréable à laquelle ils sont attachés », résume Marlène Legay.

En matière de communication, il importe que les messages soient incarnés, positifs sans occulter les aspects négatifs. « Illustrer avec des exemples améliore la crédibilité. Les gens croient davantage ceux qui témoignent. Pourquoi pas s’appuyer sur des idées préconçues, des clichés, et les démonter, propose Marlène Legay. « Les intéractions sont ainsi facilitées et les jeunes s’en souviennent davantage. » À eux d’oser être curieux et aux agriculteurs d’aller vers eux, conclut unanimement l’ensemble des intervenants.