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Étude du Gis Avenir Élevage

Comment les éleveuses perçoivent-elles leur métier ?


TNC le 13/03/2024 à 09:31
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Elles ont encore du mal à être considérées comme cheffe d'exploitation. (© Adobe Stock)

Accès au métier, équipement, rapport au travail, pratiques, reconnaissance, difficultés rencontrées et solutions trouvées… le Gis Avenir Élevage a passé les éleveuses à la loupe pour faciliter leur installation et les fidéliser le reste de leur carrière.

Dans le cadre de son projet, intitulé « Les spécificités de l’attractivité et de l’exercice des métiers de l’élevage au féminin », le Gis Avenir Élevage a mené deux enquêtes, l’une qualitative, l’autre quantitative, auprès d’éleveuses : la première composée de 17 entretiens semi-directifs en présentiel et la seconde d’un formulaire web de 40 questions (plus de 300 répondants : 149 éleveuses et 165 éleveurs, une soixantaine en bovins lait et une cinquantaine en bovins viande).

Objectif : « Faciliter l’installation et le maintien des éleveuses et salariées en élevage » et, plus globalement, « renforcer l’attractivité de ces professions », en « identifiant mieux les freins dans leurs parcours et à l’accès à ces métiers ».

Faciliter l’installation des éleveuses

Et, à l’inverse « ce qui les pousse à en changer en cours de carrière » avec, au milieu « les spécificités que peuvent connaître les femmes dans son exercice », explique James Hogge, chargé de mission et d’études en sociologie sur les femmes en élevage à l’idele, lors d’un webinaire éponyme du groupement d’intérêt scientifique.

Le but ultime : répondre au « défi du renouvellement des générations d’actifs en élevage ». Parmi les problématiques étudiées : accéder au métier est-il plus difficile pour les éleveuses que les éleveurs (formation, foncier, financement, représentations) ? La répartition des tâches est-elle encore genrée, notamment entre celles qui sont plus valorisantes et celles qui le sont moins ?

À la loupe : accès au métier, équipement, rapport au travail, pratiques…

Les femmes sont-elles moins bien équipées que les hommes, ou leur équipement est-il moins adapté ? Quid du rapport au travail (pénibilité, volume horaire, organisation, astreintes…) selon qu’elles soient associées ou non avec au moins un homme, époux ou tiers, et de leur reconnaissance ?

Et des pratiques mises en place (bien-être animal, agroécologie…) ? Quelles solutions envisagées pour lever les difficultés ? L’impact de leur âge, leur origine agricole ou pas, leurs expériences antérieures, leur statut, le fait qu’elles aient ou non des enfants, la taille de l’exploitation, le système, leur engagement professionnel est aussi pris en compte.

Enquête qualitative : inégalités des tâches, outils inadaptés, transmission aux hommes, manque de reconnaissance

Les résultats sont classés en six thématiques.

  • Installation

« Les fermes se transmettent aux garçons de la famille. » L’installation des femmes en élevage semble encore freinée par cette tradition encore très ancrée. « L’homme est vu comme le propriétaire et transmetteur à la fois du patronyme, des terres et du capital productif », détaille le sociologue.

Autre limite : des projets parfois plus atypiques que ceux de leurs homologues masculins. La production laitière fait parfois peur aux futures ou jeunes mamans car, avec les astreintes (notamment la traite matin et soir), il est plus difficile de concilier vie professionnelle et familiale.

L’homme transmet les terres et le capital productif.

  • Répartition des tâches

Elle apparaît encore assez genrée, en association avec son conjoint comme entre tiers. Les tâches administratives restent souvent l’affaire des exploitantes, un travail plus « invisible » que celui des hommes, « en extérieur, avec l’utilisation de matériels divers », pointe l’enquête. « Plus morcelé, il est plus complexe à comptabiliser », ajoute James Hogge. L’imbrication entre sphère pro et privée est citée comme plus forte chez les éleveuses.

  • Exercice du métier

Les principales contraintes mentionnées : les équipements non adaptés aux femmes, à leur morphologie, et les charges lourdes à porter en raison d’une moindre force physique. « Pour éviter de se faire mal et ne pas dépendre de leurs collègues masculins, elles essaient de réduire la pénibilité, d’adapter les outils, les pratiques, la génétique.

Ne pas être dépendante, éviter de se faire mal.

Et l’ensemble du collectif en bénéficie », précise l’étude. En allaitant, elles redoutent les risques liés aux manipulations et interventions sur les animaux. Concernant la maternité, pouvoir prendre son congé et en profiter demeure compliqué, le service de remplacement ne permettant pas de répondre à toutes les situations.

  • Pratiques spécifiques

Les productrices sont généralement « plus douces » avec les animaux (recours plus fréquent à l’homéopathie entre autres), montrant davantage « d’empathie » – même si cette plus grande sensibilité leur est quelque fois reprochée – et parce qu’elles cherchent à « limiter les gestes physique ou risqués ». L’un des exemples mis en avant : le changement de génétique pour obtenir des bêtes sans cornes.

  • Reconnaissance du travail

Il y a toujours un manque ressenti à ce niveau, tant en équipe conjugale que mixte. Même si elles ont le statut, les femmes peinent à être reconnues cheffes d’exploitation, à faire entendre leur avis, qu’elles soient installées seules, avec un homme ou leur conjoint. Plusieurs de celles interviewées entendent des remarques du type « Il est où le patron ? ».

D’anciennes salariées racontent qu’elles sont cependant « mieux considérées » maintenant qu’elles sont « à leur compte, même s’il faut faire ses preuves ». Les stagiaires féminines disent aussi s’insérer moins facilement dans le milieu agricole.

Stagiaires et salariées s’intègrent plus difficilement.

  • Être une femme en élevage

Les éleveuses regrettent d’être contraintes de mettre de côté leur féminité et leurs revendications féministes. « Il faut toujours donner l’impression de sortir de l’étable, lancent-elles. Avoir l’air viril, faire oublier qu’on est une femme. » Certaines témoignent avoir été confrontées au sexisme, voire à des violences sexuelles.

Il faut toujours avoir l’air de sortir de l’étable !

  • Composition du collectif de travail : quel impact ?

S’installer seule aide à « être vue comme une professionnelle et identifiée comme cheffe d’exploitation » : ce sont « des entrepreneuses, polyvalentes et autonomes dans l’organisation du travail et la prise de décision ». Ce qu’elles apprécient, même si c’est également source de « stress » parce que, justement, il n’y a qu’elles pour décider, porter les responsabilités, résoudre les problèmes. En revanche, elles connaissent des obstacles à l’installation en lien avec des projets plus atypiques et cette culture de la transmission aux garçons qui perdure.

Un atelier à soi renforce autonomie et pouvoir décisionnel.

Dans les collectifs féminins, chaque membre jouit également d’une autonomie importante et les tâches sont réparties de manière égalitaire. Se faire remplacer et prendre des congés ne pose aucun souci. En équipe mixte, les éleveuses sont plutôt assimilées à des stagiaires ou salariées, qu’à des cheffes d’exploitation. De surcroît, la répartition du travail est souvent inégale.

« La création d’un atelier à elle renforce leur autonomie et leur pouvoir décisionnel », note Jamne Hogge. Le remplacement est plus simple qu’entre conjoints. Dans ce dernier cas, en particulier si l’exploitante rejoint la ferme de son mari, ce qui vient d’être écrit sur le statut et la distribution des tâches est également valable, voire exacerbé. « Les productrices se chargent généralement des travaux « intérieurs », de l’administratif, mais aussi domestiques, et de la gestion des enfants s’il y en a », souligne James Hogge. Développer une activité à soi peut améliorer les choses.

Enquête quantitative

Les mêmes items sont repris, les résultats sont proches de ceux ci-dessus mais plus détaillés et surtout chiffrés. D’autres ont été ajoutés.

  • Installation

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le genre impacte peu les réactions des parents à ce choix de leurs enfants, les éleveurs y étant même plus favorables que les éleveuses. À noter : 80 % des productrices et 90 % des producteurs ont « plutôt bien voire très bien réagi ». Par contre, il influence le lieu d’installation : les hommes s’installent plus chez leurs parents (87 % versus 52 %) et les femmes chez leur conjoint (33 % vs 0 % dans l’échantillon).

Les mêmes freins.

Peu de différence sur les obstacles également : en tête le foncier, puis trouver des financements et une exploitation à reprendre (le premier et le troisième étant même un peu plus représenté chez les exploitants). Viennent ensuite le déficit d’information et de conseil, et l’insertion dans le milieu agricole local (légèrement moins facile pour les exploitantes).

  • Répartition des tâches

Sans surprise, les tendances sont similaires à celles révélées par l’enquête qualitative. Les productrices s’occupent essentiellement de l’administratif et des animaux (soins vétérinaires et aux veaux, et même alimentation), les producteurs des champs et du matériel. Intéressant en bovins lait : la quasi-parité sur la traite, et les éleveuses paraissent même favorisées (30 % traient seules contre 40 % des éleveurs ; 56 % et 43 % à plusieurs respectivement). Au global, 80 % des producteurs se sentent autonomes, contre à 50 % des productrices.

Quasi-parité sur la traite.

  • Équipement/exercice du métier

Par rapport au matériel, de même pour dans l’étude qualitative, le plus contraignant pour les femmes, loin devant : le poids trop lourd (28 %), puis l’usage répété douloureux à la longue (17 %). Arrivent ensuite, autour de 10 % : la crainte de se faire mal, la non-adaptation à la taille, leur utilisation complexe, le fait de ne pas oser s’en servir.

La lourdeur des outils, leur dimension non adaptée et la peur des accidents et de ne pas savoir les utiliser sont plus prégnantes chez les éleveuses. Elles craignent moins que les hommes leur complexité et l’effet néfaste de leur usage douloureux répété.

30 % des exploitantes demandent de l’aide.
Les exploitants privilégient mécanisation et automatisation.

Quant aux solutions mises en place, 30 % des exploitantes demandent de l’aide, 20 % délèguent à quelqu’un d’autre, 15 % mécanisent ou automatisent, 10 % insistent et forcent ou abandonnent. Seules 5,5 % transforment l’outil pour l’adapter à leur morphologie (7 % des hommes). L’ordre diffère chez les exploitants : ils ont d’abord recours à la mécanisation et l’automatisation, puis se font aider, insistent et forcent, délèguent puis abandonnent.

  • Pratiques spécifiques

Les données recueillies confirment ce qui a été présenté en début d’article : les pratiques féminines s’avèrent « plus douces ». Dans le domaine vétérinaire, si une grande partie des éleveurs et des éleveuses (60 %) utilisent médecines douces (homéopathie, phytothérapie) et antibiotiques, les unes sont 5 % plus nombreuses à employer préférentiellement les premières et les hommes 10 % de plus à recourir aux seconds.

Un choix de métier pour les animaux : 40 % des productrices et 25 % des producteurs.

65 % des femmes n’aiment pas voir partir leurs bêtes à l’abattoir, alors que 50 % des hommes y sont indifférents. Cela rejoint ce qui suit : si pour les deux (37 %), le contact avec les animaux est l’un des aspects positifs du métier, 40 % des productrices l’ont choisi pour cette raison et seulement 25 % des producteurs, qui considèrent que l’élevage est un moyen de gagner sa vie comme un autre (23 contre 15 %). Plus surprenant, en élevage laitier, 97 % des exploitants redoutent les réactions de leurs vaches, les exploitantes étant moins craintives (70 %).

  • Congés

Ici, pas de distinction flagrante. Toutefois, 30 % des éleveuses n’en prennent jamais, soit 10 points de plus que les éleveurs. Pour la naissance de leurs enfants, 65 % des femmes ont profité de leur congé maternité et, inversement, 67 % des hommes n’ont pas pris leur congé paternité. Par contre, 83 % des papas et 96 % des mamans ont quand même travaillé !

30 % des éleveuses ne prennent pas de vacances.
96 % travaillent pendant leur congé maternité.

  • Reconnaissance du travail

Une fois en place, 70 % des éleveuses ont dû faire leurs preuves (62 % pour les éleveurs). Pour 44 % d’entre elles, « leur statut de cheffe d’exploitation n’est pas évident pour les personnes extérieures à la ferme ». Une proportion qui tombe à 10 % pour leurs homologues masculins. Toutes les personnes enquêtées pensent qu’hommes et femmes sont complémentaires dans le travail. Les hommes sont 8 à 10 % de plus à penser que les femmes sont plus sensibles aux animaux et que le métier est plus difficile pour elles.

44 % des cheffes d’exploitation ne se sentent pas considérées comme tel.

  • Collectif de travail

26 % des éleveuses sont installées seules, 35 % avec leur conjoint, 32 % dans une équipe mixte, 5 % masculine et 2 % féminine (respectivement 47 %, 19 %, 21,5 %, 12 % et 0,5 % pour les hommes). Autrement dit : elles s’installent plus en couple ou dans des collectifs mixtes, et un peu moins seules (très rarement entre femmes ou qu’avec des hommes) ; les éleveurs, eux, majoritairement seuls, puis à quasi-égalité en couple ou collectifs mixtes, parfois dans des équipes masculines et presque jamais uniquement féminines.

Plus d’installations en couple ou équipe mixte.

  • Santé

Là encore peu d’écarts de genre. Signalons simplement un pourcentage d’éleveuses concernées légèrement supérieur, par des troubles musculo-squelettiques (qui touchent 55 à 60 % de la population étudiée) et psychologiques (12 à 16 %) en particulier. 23 % des femmes et 30 % des hommes ne souffrent d’aucune pathologie.

Pour conclure, 84 % des éleveuses et des éleveurs espèrent transmettre leur élevage à un homme ou une femme indifféremment.