Comment les salariés agricoles perçoivent-ils leurs conditions de travail ?
TNC le 23/03/2023 à 17:49
Face aux difficultés croissantes à recruter des salariés agricoles et au manque d'attractivité dont souffrent ces métiers, l'Association des salariés agricoles de France a voulu mieux connaître leurs conditions de travail en exploitation, afin de voir quelles évolutions apporter pour répondre à leurs besoins. En ressort : des situations très diverses selon les fermes, avec parfois même pas d'accès aux WC, pour ceux qui assurent 40 % de la production agricole.
Menée de juin à fin novembre 2022 par questionnaire internet, mail, sur les réseaux sociaux et le terrain (réunions, salons), cette enquête de l’Association des salariés agricoles de France, en partenariat avec Trame, pensée par les travailleurs eux-mêmes, se veut le baromètre de leurs besoins. Objectif : donner un nouveau cap en matière de recrutement en agriculture, alors que celui-ci s’avère de plus en plus difficile et ces métiers de moins en moins attractifs. En s’intéressant aux conditions de travail des salariés agricoles, l’organisation espère comprendre pourquoi certains sont bien dans leurs bottes et d’autres moins.
L’échantillon
Une quarantaine de questions, fermées et ouvertes pour leur permettre de « s’exprimer », ont été posées sur de nombreux sujets : droit du travail, convention collective, gestion des congés, formation, équilibre vie professionnelle et personnelle, reconnaissance, pression, perspectives d’évolution, etc. 400 réponses ont été recueillies, auprès d’hommes et de femmes de 17 à 65 ans, le plus souvent en CDI et travaillant en équipe, dans divers régions et secteurs : productions végétales, élevage, agroéquipement, viticulture…
400 répondants (25 % élevage bovin lait, 20 % cultures/machinisme).
Le profil plus précis des enquêtés : 80 % de sexe masculin, 73 % âgés de 19 à 50 ans (25 % > 51 ans et 3 % d’apprentis ≤ 18 ans), plutôt de l’ouest de la France, à 25 % en production bovine laitière et à 20 % en grandes cultures/machinisme (30 % en vignes et presque 20 % en porcs). 80 % sont en poste et 20 % sont en cours de formation ou reconversion. Près de 80 % ont un contrat à durée indéterminé, depuis plus de 5 ans pour 45 % d’entre eux, 15 % un CDD et 6 % un contrat d’apprentissage. Ils ne sont que 25 % à être le seul salarié sur la ferme. Les résultats, dévoilés au salon de l’agriculture, sont présentés par grandes thématiques.
Conditions de travail
- Les équipements au sein de la structure
Des situations très différentes sont relatées, des plus confortables (avec salle de pause, douche dans 50 % des cas et lave-linge dans 30 %, notamment en porcheries) aux plus vétustes (25 % des salariés n’ont pas de WC et 40 % de lieu de repos pour déjeuner, et certains qui en disposent se plaignent de leur saleté). Parmi les propos rapportés : « Le WC est sur caillebotis (…) et le repas dans l’auto ! »
- Les équipements individuels
Pas d’EPI, pourtant obligatoires, pour 22,5 % des salariés : gants, chaussures de sécurité, masques, lunettes… Là encore, d’importants écarts existent concernant leur état (+ ou – propres et usagés). Mais lorsqu’ils sont fournis, ils sont renouvelés régulièrement et accompagnés la plupart du temps de tenues de travail (cotes, bottes). En revanche, les protections contre la pluie, le froid et la chaleur sont rares.
22,5 % n’ont pas d’EPI et 25 % de WC.
- La sécurité sur le lieu de travail
Seulement 40 % des sondés mentionnent la présence du Duerp (document d’évaluation des risques professionnels), 45 % ne savent pas s’il y en a un et 15 % déplorent son absence. Pourtant, « sa réalisation est une obligation réglementaire pour l’employeur, tout comme l’affichage des règles de consultation sur l’exploitation », rappelle l’Association des salariés agricoles.
Quid du Duerp ?
Ainsi, « 20 % des répondants ne se sentent pas en sécurité sur leur lieu de travail ». « Ils craignent un accident ou une maladie professionnelle, les troubles psycho-sociaux étant également cités. » 5 % seraient « victimes de harcèlement ».
Formation
- Initiale
Pour 45 %, celle-ci s’est déroulée pendant leur « cursus scolaire ».
- Continue
62 % des personnes, ayant répondu au questionnaire, déclarent « avoir reçu une formation en interne », plutôt « sur le tas » : 2/3 ont été formés par leur employeur et 1/3 par un autre salarié. Une sur deux aimeraient suivre une formation complémentaire, technique pour 80 %.
Équilibre vie pro/perso
85 % des participants à l’enquête le jugent bon. Les autres invoquent une charge de travail trop élevée et 55 % indiquent « manquer de sommeil », voire ne pas pouvoir manger correctement. Le fait « d’être rappelé de façon intempestive sur leur temps de repos » leur pèse beaucoup.
Droit du travail
- Le versement du salaire
8,5 % sont payés en retard ou sans fiche de paye.
- Les horaires
75 % estiment qu’ils sont « clairement définis et respectés ». A contrario, « des heures supplémentaires ne seraient pas récupérées ni payées », peut-on lire parfois, l’un parlant de « 2 400 h en 10 ans et 140 jours de congés ».
- Les congés
60 % reprochent un manque d’anticipation. 80 % néanmoins sont « satisfaits des dates » et 20 % seraient mécontents citant comme arguments : une durée trop courte, une période non souhaitée ou une prise imposée par l’employeur.
- La convention collective nationale de la production agricole
Un peu plus de 50 % des salariés « n’ont pas été informés de son existence ». Or, au moment de l’étude, elle est en vigueur depuis quasiment deux ans, précise leur association nationale. Notons « qu’une minorité signale que leur employeur ne l’a pas mise en place ». Si elle est appliquée avec information des salariés, 25 % d’entre eux n’ont aucune idée de leur positionnement sur la grille de classification et 25 % trouvent qu’il ne reflète ni leur qualification ni les missions exercées.
- Les entretiens
60 % n’ont pas d’entretien « annuel » avec leur employeur. « Ces derniers ne prennent pas le temps de se poser au moins une fois par an avec leurs salariés. C’est vraiment dommage de ne pas faire le bilan du travail accompli », pour aborder ce qui fonctionne et ce qu’il faut améliorer. L’occasion, de plus, de discuter de l’évolution professionnelle et des formations possibles.
Avantages
Ici aussi, on note des disparités notables, de plusieurs avantages (2 pour 23,5 %) perçus à zéro (76,5 %). 40 % des personnes, ayant rempli l’enquête, ne touchent aucune prime financière. Sur les 60 % qui en bénéficient, il s’agit d’une prime obligatoire conventionnelle (13e mois, prime annuelle) dans 40 % des situations et pour les 20 % qui restent, « d’une gratification donnée par l’employeur, d’une prime liée aux résultats de l’entreprise (intéressement, PEE…), ou d’un avantage ponctuel et exceptionnel lié à la conjoncture (prime Macron ou PEPA, prime Covid) pour 3 % d’entre eux. Autres avantages octroyés : les chèques vacances en premier, les tickets restaurant, les paniers garnis, l’arbre de Noël…
27 % ont droit à des avantages en nature : prise en charge des repas (50 %), octroi d’un véhicule, d’un téléphone, mise à disposition d’un logement, produits de la ferme.
Respect des personnes
- Reconnaissance
Elle serait insuffisante pour 30 % des enquêtés. Cela « peut rapidement se traduire par un sentiment de mal-être et une envie de quitter l’entreprise », fait remarquer l’association.
- Pression
50,5 % disent « qu’ils en ressentent », en raison « des multiples compétences requises, de la surcharge de travail et des relations humaines compliquées avec l’employeur (10 %) et/ou les collègues (12 %). Quelques-uns parlent de « sous-effectif », de « rémunération trop basse » et de « fonctionnement familial et hiérarchique trop pesant. »
Évolutions de carrière
À horizon 2 ans, 35 % envisagent de « rester dans la même entreprise », 8,5 % d’en changer, 32,5 % « ne savent pas » et « considèrent leur avenir professionnel comme incertain », 10 % projettent de s’installer agriculteur(trice), 11 % de se reconvertir hors de l’agriculture et 4 % partiront en retraite.
Paroles de salarié(e)s
Ci-dessous quelques verbatims intéressants ressortis de ce travail, sachant que seuls 25 % des salariés agricoles en ont produits. Même si ce sont souvent les « râleurs » qu’on entend le plus, les mots sont parfois « durs » (« larbin ») et traduisent le « ras le bol » ressenti par certains, en termes de salaire, de reconnaissance, de conditions de travail (pénibilité en particulier), et au niveau humain. Plusieurs cherchent à changer de métier tout en reconnaissant l’avoir exercé avec « passion ».
L’association des salariés agricoles de France entend réitérer cette analyse cette année en intégrant d’autres organismes (MSA, Anefa, Ocapiat) afin d’élargir sa portée, a-t-elle spécifié au Sia.