Confrontation et opposition sont-elles inéluctables ?
TNC le 27/07/2021 à 11:00
Si les limites et les défauts du modèle agricole dominant d’après-guerre sont aujourd’hui connus, et pris en compte dans l’amélioration des pratiques, les alternatives plus radicales sont régulièrement mises en avant comme l’unique solution environnementale, climatique et sociale, par leurs partisans mais aussi, parfois, par la société. Le débat ne peut-il exister qu’à travers l’opposition des modèles ? Dans un ouvrage collectif, « Coexistence et confrontation des modèles alimentaires : un nouveau paradigme du développement territorial ? », des chercheurs s’interrogent sur les interactions entre ces modèles, pour comprendre ce que leur coexistence peut apporter de positif.
La modernisation agricole amorcée dans les années 60 a entraîné l’émergence d’un modèle dominant permettant de répondre aux besoins alimentaires de la population, un modèle qui s’est appuyé sur l’énergie fossile et les technologies de la chimie et de la génétique. Cette transformation s’est accompagnée de l’organisation de filières longues pour réguler les approvisionnements, assurer leur diversité et réaliser des économies d’échelle grâce à la concentration des moyens dans le secteur agroalimentaire, parallèlement à une organisation du marché misant sur la baisse des prix à la consommation et sur la compétitivité comme moteur de croissance.
Depuis un certain nombre d’années, ce modèle évolue pour répondre aux défis environnementaux, climatiques, et prendre en compte l’érosion de la biodiversité, mais également en regard de crises économiques et sociales au sein du monde agricole et rural. Les défauts de ce modèle ont également contribué à l’émergence d’alternatives.
La polarisation est-elle inévitable ?
Pour autant, l’opposition des modèles s’avère-t-elle inévitable ? « Sans nier le fait que cette dualité puisse correspondre à une étape féconde de mise en politique et d’organisation de la confrontation, penser et construire la coexistence se pose en quelque sorte en alternative à la grande révolution que nous devrions urgemment mettre en œuvre face aux enjeux de la planète », écrit Patrick Caron dans l’ouvrage « Coexistence et confrontation des modèles alimentaires », paru en février aux éditions Quae et coordonné par Pierre Gasselin, Sylvie Lardon, Claire Cerdan, Salma Loudiyi et Denis Sautier. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que « la très grande dispersion de pratiques au sein de chaque modèle empêche également de continuer à soutenir des raisonnements dualistes », souligne Ronan Le Velly dans un chapitre de l’ouvrage.
Partant de ce constat, on peut en revanche faire de la coexistence des modèles agricoles un projet en lui-même. Cette perspective nécessite ainsi de sortir du statu quo et d’ouvrir une « voie de négociation avec les partisans des positions et des modèles dominants » pour laisser la place aux alternatives, mais également de tourner le dos à l’hypothèse d’une révolution « qui consisterait à imposer par la confrontation et la force une option de substitution », écrit Patrick Caron.
Car la coexistence des modèles agricoles comporte plusieurs bénéfices, notamment l’augmentation des capacités et le gain de performances résultant d’une association de leurs caractéristiques. Par ailleurs, « cette option permet a priori d’échapper à la perte de contrôle des trajectoires inhérente à toute révolution, ou à l’inertie générée par les rapports de force dominants », souligne aussi Patrick Caron.
Un défi qui se construit à l’échelle territoriale
Face à la polarisation accentuée par l’hypermédiatisation, les coordonnateurs de l’ouvrage estiment nécessaire de construire « une pensée des interfaces et des interactions entre des formes d’agriculture et d’alimentation diverses et dynamiques » : « c’est dans ce contexte de frictions, de complémentarités et de coévolutions des modèles agricoles et alimentaires, à l’échelle des territoires ruraux, périurbains et urbains, en lien avec des niveaux d’organisation supérieurs, que s’opère une réinvention des enjeux de demain et des « théories de l’action » vis-à-vis de ces enjeux », concluent-ils. Une bonne gouvernance de cette coexistence devrait tirer parti des initiatives positives qui existent dans les territoires, tout en ayant conscience des limites de la réplicabilité de chaque modèle local.