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De 1955 à 2015 : 9 dates et statuts pour être reconnues « agricultrices »


TNC le 15/10/2024 à 05:03
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« La transmission de l'exploitation aux garçons » de la fratrie semble encore « culturellement » très ancrée. Même si, selon une enquête, 83 % des producteurs et des productrices pourraient transmettre indifféremment à un homme ou une femme. (© tockMediaProduction, Adobe Stock)

De rien à cheffe d’exploitation, en passant par ayant droit, cotisante solidaire, aide familiale, conjointe collaboratrice, salariée : la conquête de la reconnaissance des agricultrices en France s’est faite à travers celle de multiples statuts, aujourd’hui encore nombreux, et 9 dates clés. L’occasion, en cette journée internationale de la femme rurale, de revenir sur ce long chemin. Et de voir, à travers une enquête, où l’on en est actuellement.

Une reconnaissance en 9 étapes

  • 1955 : la « sans profession »

« Faute d’être déclarées « agricultrices », 1 million d’actives du monde agricole disparaissent des statistiques et sont considérées « sans profession ». »

  • 1960 : l’exploitation à 2 UTH

Malgré les lois de 1960 et 1962 en faveur du modèle d’exploitation familiale à 2 UTH, les femmes n’y sont qu’aides familiales.

  • 1973 : l’associée de plein droit

Si elles acquièrent ce statut, le Gaec entre époux demeure interdit.

  • 1980 : la coexploitante

« Désormais, elles peuvent devenir « coexploitante » à parité avec leur mari, mais beaucoup restent « conjointes participant aux travaux », avec des droits sociaux moindres.

  • 1985 : l’EARL, société de couple

Cette forme juridique ouvre de « nouvelles perspectives » aux femmes voulant s’installer agricultrices.

  • 1999 : la conjointe collaboratrice

Les femmes peuvent maintenant bénéficier de ce statut, à condition d’avoir l’autorisation de leur époux.

  • 2006 : la conjointe émancipée

« Le statut de conjointe collaboratrice est étendu à toutes les formes de conjugalité, sans autorisation du mari exigée. »

  • 2010 : le Gaec de couple

C’est la fin de l’interdiction de constituer ce type de société entre conjoints seuls.

  • 2015 : la transparence pour les Gaec (entre époux aussi)

C’est-à-dire la prise en compte du nombre d’associés dans l’attribution de certaines aides ou le respect de certaines réglementations.

Et dans les faits ?

Le milieu agricole est encore très genré, révèle le Centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture, comme l’illustre l’étude « Les spécificités de l’attractivité et de l’exercice des métiers de l’élevage au féminin » du Gis Avenir Élevage (1), certes menée dans le secteur des productions animales mais dont une partie des résultats sont valables tous secteurs confondus. Objectif de ce travail : répondre « au défi du renouvellement des actifs » dans ces filières, en comprenant mieux les particularités, en tant que femme, pour accéder à ces professions puis les exercer, en « identifiant les freins », afin de les rendre plus attractives et accessibles.

(1) Ce groupement d’intérêt scientifique a pour vocation de « produire et diffuser de nouvelles connaissances et innovations pour un élevage durable et créateur de valeur ajoutée permettant de jeter les bases d’une nouvelle ère de progrès pour les systèmes de productions animales ».

En particulier, il s’agit de faciliter l’installation des agricultriceset leur maintien dans leur activité. Dans ce domaine justement : « la transmission de l’exploitation aux garçons » de la fratrie semble encore « culturellement » très ancrée. « L’homme reste vu comme le propriétaire et transmetteur à la fois du patronyme, des terres et du capital productif. » Même si selon l’enquête quantitative (voir plus bas), 83 % des producteurs et des productrices pourraient transmettre indifféremment à un homme ou une femme. Autres problématiques : les « projets atypiques » parfois des futures installées et les « contraintes spécifiques » de certains ateliers.

Concernant la répartition du travail entre exploitants et exploitantes, elle demeure encore sexée, notamment dans « les collectifs de travail mixtes ou conjugaux ». Les tâches effectuées par les hommes sont « plus visibles, à l’extérieur, utilisant des machines », l’administratif « vécu comme une corvée » incombant encore souvent aux femmes. Les missions réalisées par ces dernières sont « plus morcelés et difficiles à comptabiliser ». À noter : « une porosité » plus importante que leurs homologues masculins « entre la sphère professionnelle et personnelle ».

« Devenir cheffe d’exploitation a fait évoluer beaucoup de choses »

Sur les difficultés du métier d’agricultrice, l’enquête fait ressortir la pénibilité physique, à laquelle s’ajoutent des équipements pas toujours adaptés (à la morphologie, en termes de poids). Lorsqu’il y a un élevage (gros animaux, par exemple, des bovins), des craintes face aux risques encourus sont fréquemment exprimées. Face à cela, plusieurs attitudes : « soit les agricultrices forcent jusqu’à se faire potentiellement mal, soit elles demandent de l’aide aux hommes, d’où une certaine dépendance, soit elles contournent l’obstacle, innovent, adaptent les matériels et les pratiques. Et l’ensemble des travailleurs en profitent. »

Parmi les autres thématiques évoquées : la reconnaissance des exploitantes agricoles, en équipe mixte ou conjugale. L’agriculteur, le chef d’exploitation : voilà une représentation qui a la vie dure. Même seules à la tête de la ferme, plusieurs des enquêtées se plaignent de manquer de « considération » de la part de leurs pairs ou, en tout cas, devoir batailler pour l’obtenir.

Ce sentiment paraît plus prégnant pour les salariées : « Devenir cheffe d’exploitation m’a libéré de tout ça. Ce changement de statut a fait évolué beaucoup de choses. Je me sens davantage respectée. Maintenant, c’est moi qui gère directement, pas mon patron, même s’il faut faire ses preuves. » Quant aux particularités, au quotidien, les productrices adoptent des pratiques possiblement plus douces, en lien avec l’environnement, le bien-être animal…, et font preuve d’une « sensibilité », parfois très marquée.

Les femmes s’installent, en société, sur l’exploitation de leur conjoint

La composition de la main-d’œuvre influe sur ces différents aspects. Installées en individuel, elles sont « mieux identifiées comme cheffes d’exploitation, mieux considérées et reconnues comme professionnelles ». « Polyvalentes », elles sont « autonomes au niveau organisation, prise de décisions, ect., avec le stress et les incertitudes qu’engendre cette indépendance ». Même autonomie dans les collectifs féminins, où les tâches sont réparties de façon égalitaire. Ce qui s’avère plus compliqué dans les équipes mixtes. Un atelier à soi peut être le moyen d’être plus indépendante. Idem entre conjoints, en particulier quand la femme rejoint l’exploitation de son compagnon.

Une enquête quantitative (317 répondants, hommes et femmes) complète cette analyse qualitative. Principaux enseignements : 87 % des agriculteurs reprennent la ferme parentale contre 52 % des agricultrices, 33 % d’entre elles s’installant sur la structure de leur conjoint, la réciproque étant assez rare. Signalons que davantage de femmes intègrent l’exploitation d’un autre membre de leur famille que les hommes, avec moins d’installations hors cadre familial. Pas de différence de genre, en revanche, en ce qui concerne la réaction des parents à leur décision de devenir agricultrice ou agriculteur.

47 % des producteurs sont sous statut individuel, versus 26 % des productrices, celles-ci étant quasi à parité associées à leur compagnon ou dans des sociétés mixtes (35 et 32 %). Premier obstacle rencontré : le foncier mais de manière plus prépondérante pour les hommes (43 % vs 29,5 %). Le deuxième étant la difficulté de trouver des financements pour les unes et une exploitation pour les autres. Par ailleurs, certaines données corroborent ce qui a été mis en évidence par les entretiens qualitatifs : 83 % des hommes interrogés se disent autonomes, contre 51 % des femmes. Idem sur le sujet des équipements et des leviers actionnés pour y remédier (cf. graphiques ci-dessous).

Les agricultrices et le matériel (© Gis Avenir Elevage)

En matière de santé au travail, les exploitants se sentiraient un peu moins concernés. Ils prendraient cependant un peu plus de congés (80 % comparé à 70 %). Question maternité/paternité, 65 % des agricultrices ont bénéficié d’un congé, mais seulement 30 % des agriculteurs.