Déduction pour épargne de précaution, mode d’emploi
TNC le 05/12/2019 à 11:05
La loi de finances pour 2019 a remplacé la déduction pour investissements (DPI) et pour aléas (DPA) par un dispositif unique, la déduction pour épargne de précaution (DEP). Comment fonctionne cette nouvelle mesure, et quels intérêts présente-t-elle ? Éléments de réponse avec Gaëlle Le Peltier, chargée d'études service social et fiscal pour le groupe Cogedis et Fabien Rousseau, de la direction commerciale marché agriculture du Crédit Mutuel Alliance fédérale.
Interview de Fabien Rousseau, de la direction commerciale marché agriculture du Crédit Mutuel Alliance fédérale, sur la mise en place de la déduction pour épargne de précaution :
Interview de Gaëlle le Peltier de Cogedis :
TNC : En quoi consiste le dispositif déduction pour épargne de précaution (DEP) ?
Gaëlle Le Peltier, du groupe Cogedis : La DEP est un nouveau dispositif fiscal encourageant la gestion des risques au niveau des exploitations. Le but est de lisser les résultats pour pallier la volatilité des revenus. Elle permet de réduire le revenu sur une bonne année pour en limiter l’impact fiscal et social, puis de le réintégrer sur une année où les résultats sont en baisse. Le principe est de permettre la déduction d’une fraction du BA imposable en constituant une épargne de précaution d’au minimum 50 % du montant déduit. Celle-ci peut prendre la forme de sommes placées sur un compte bancaire, mais aussi de coûts engagés pour l’acquisition ou la production de stocks : fourrages, produits ou animaux avec un cycle de rotation supérieur à un an. On peut également épargner certaines créances détenues auprès de coopératives ou d’organisations de producteurs. La DEP doit être utilisée au cours des dix exercices suivant celui au cours duquel la déduction a été réalisée.
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TNC : Comment la mettre en place ?
G.LP : L’épargne est déposée sur un compte courant non bloqué pour rester disponible. Le placement doit se faire dans les six mois suivant la clôture de l’exercice ou, pour les clôtures de fin d’année, dans le délai de dépôt de la liasse. La variation du prix de revient des stocks éligibles à la clôture peut aussi être épargnée. Enfin, l’épargne coopérative nécessite un contrat pluriannuel fixant un prix de référence. Lorsque le prix de vente est supérieur au prix de référence et que le boni est laissé à disposition de la coopérative sur un compte coopérateur spécifique, ce boni peut constituer l’épargne DEP. Attention, il faut maintenir une épargne comprise entre minimum 50 % et maximum 100 % du total non utilisé. Sinon, il y a obligation d’en réintégrer une partie pour respecter ce ratio. Ceci peut être majoré par l’application d’intérêts de retard au taux de 2,4 % par an. En pratique, il suffira de justifier de dépenses professionnelles.
TNC : Quel est le plafond de cette épargne ?
G.LP : Les sommes déduites sont limitées par un plafond annuel et un plafond cumulé. Le plafond annuel est déterminé en fonction du BA de l’année selon les modalités suivantes :
Bénéfice agricole | Montant maximal de déduction |
0 à 27 000 € | 100 % du bénéfice |
27 000 € à 50 000 € | 27 000 € + 30 % du bénéfice excédant 27 000 € |
50 000 € à 75 000 € | 33 900 € + 20 % du bénéfice excédant 50 000 € |
75 000 € à 100 000 € | 38 900 € + 10 % du bénéfice excédant 75 000 € |
> 100 000 € | 41 400 € |
Le mécanisme se traduit donc par une augmentation des sommes déductibles comparé aux ex-DPI (Déduction pour Investissements) et DPA (Déduction Pour Aléas). Les seuils sont multipliés par le nombre d’associés en EARL et Gaec dans la limite de 4. Le montant cumulé des DEP ne peut pas dépasser 150 000 €. Ce seuil est multiplié par le nombre d’associés en EARL et Gaec dans la limite de 4.
TNC : En quoi diffère-t-elle de la DPA, qui a été un échec ?
G.LP : La DPA n’a pas fonctionné en raison de l’obligation d’épargne bancaire : le dispositif nécessitait une trésorerie et la capacité à la bloquer sur plusieurs années. Les motifs d’utilisations conformes étaient limités, rigides, parfois aléatoires : sinistre, calamité, baisse de valeur ajoutée, etc. La DEP est plus souple : l’épargne en stocks la rend accessible aux exploitants sans trésorerie. Les motifs d’utilisation sont également plus larges : aucune obligation d’avoir un sinistre ou un aléa, il suffit de justifier de dépenses professionnelles. De plus, rappelons que la DEP ne vient pas seulement se substituer à la DPA, mais aussi à la DPI. Elle sera donc vraisemblablement plus utilisée.
La DEP est souple : l’épargne en stocks la rend accessible aux exploitants sans trésorerie. Les motifs d’utilisation sont également plus larges : aucune obligation d’avoir un sinistre ou un aléa, il suffit de justifier de dépenses professionnelles.
TNC : La règle européenne de minimis limite-t-elle son intérêt ?
G.LP : La DEP est en effet soumise à cette réglementation dont le plafond a été relevé à 20 000 €. L’aide de minimis retenue correspond à l’avantage en trésorerie sur le gain d’impôt résultant de la DEP. Seul le gain d’impôt sur le revenu des personnes physiques est retenu pour son calcul. On mesure le gain d’impôt permis par la déduction de la DEP, puis en appliquant sur ce gain une formule tenant compte d’un taux d’actualisation d’environ 1 %, on calcule l’intérêt de cette économie sur 10 ans. Par exemple, une DEP de 40 000 € permet une économie d’IR de 8 000 €. En appliquant la formule de l’administration, l’aide de minimis est alors de 758 €. À noter que cette aide est considérée acquise à la date de recouvrement de l’impôt concerné. En pratique, lorsqu’une DEP est déduite sur l’exercice N, les revenus N sont déclarés en mai N+1 et l’impôt sur les revenus de N mis en recouvrement en septembre N+1 : l’aide de minimis est donc considérée acquise en septembre N+1. Cela peut être limitant sur les exploitations proches du plafond, mais le montant d’aide reste très faible au regard du montant de déduction, comme le montre l’exemple.
TNC : La DEP est limitée à 2022. Pourquoi ?
G.LP : C’est souvent le cas lors de la mise en place d’un nouveau dispositif, pour l’évaluer après quelques années d’utilisation. Pour autant, cela ne sous-entend pas forcément une incitation à s’orienter vers l’impôt sur les sociétés. Certes, la suppression de la DPI réduit un peu l’intérêt du régime BA mais ce régime comprend encore des dispositifs intéressants (moyenne triennale fiscale, abattement JA, étalement, revenus exceptionnels sur 7 ans, etc.). Oui, l’administration fiscale est favorable à un alignement des régimes et verrait d’un bon œil que plus d’exploitations aillent vers l’IS. En réalité, l’orientation vers ce régime va surtout résulter de la baisse des taux d’IS sur les prochaines années.
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