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Droits de douane : des vignerons dans l’attente, des expéditions déjà à l’arrêt


AFP le 26/03/2025 à 15:15

« Un moment assez désagréable ». En France, le monde du vin, menacé de taxes américaines à 200 %, est suspendu aux décisions douanières attendues de Washington et de Bruxelles, qui ont déjà pour effet de bloquer une grande partie des expéditions.

Donald Trump a brandi mi-mars des tarifs douaniers de 200 % sur les alcools européens si l’UE ne renonçait pas à taxer le bourbon américain, comme elle le prévoit en rétorsion aux surtaxes sur l’acier et l’aluminium fixées par le locataire de la Maison-Blanche.

« Cela eu un effet immédiat : ça a stoppé une grande partie des expéditions », décrit Gabriel Picard, président de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS). « Les importateurs américains, dans l’incertitude, ont stoppé leurs retiraisons (expéditions, NDLR), y compris certains conteneurs quasiment en train d’être chargés sur le bateau. Cela touche l’ensemble des régions, petites exploitations, sociétés de négoce… » « Arrêtez tout envoi de vins européens », a « fortement conseillé » l’Alliance américaine pour le commerce du vin (USWTA) dans un courrier à ses adhérents. « Le risque de taxation est trop fort », a alerté l’organisation professionnelle.

Alors que la Commission européenne a repoussé à la mi-avril l’application de ses contre-mesures douanières, le monde du vin en France s’active donc de nouveau, à Paris et Bruxelles, pour tenter de sortir de ce mauvais pas.

« Notre demande, claire depuis longtemps, est que ni le bourbon, ni les spiritueux ni les vins américains ne soient dans » la liste de rétorsions, explique M. Picard. « C’est inopérant » politiquement, plaide le vigneron bourguignon, car c’est s’attaquer à une Californie démocrate et un Kentucky dont le sénateur a quitté les rangs trumpistes. Économiquement surtout, l’Europe a le plus à perdre : 8 milliards d’euros par an (dont 3,8 milliards pour la France), quand les alcools américains vendus dans l’UE rapportent 500 millions.

Le secteur n’écarte pas de nouvelles déclarations américaines avec la mise en place annoncée au 2 avril de la politique commerciale « America First ».

« L’agenda n’est pas clair », dit M Picard, qui évoque « un moment incertain assez désagréable ».

+ 1 % de droits, – 1 % de ventes

La France a « demandé à la Commission européenne d’adapter ses mesures », a souligné mercredi au Sénat le ministre chargé de l’Europe, Benjamin Haddad.

« Je tiens à souligner que pour l’instant, aucun droit de douane n’a été mis en place par l’administration américaine sur les vins et spiritueux, et la Commission européenne continue son dialogue avec les États-Unis ».

Échaudée par la guerre commerciale menée par la première administration Trump, la filière s’était préparée, mais pas à 200 %, souligne Rodolphe Lameyse, patron de Vinexposium, organisateur des salons Wine Paris et Vinexpo America à Miami : « 200 % c’est revenir à la prohibition ».

Mais « une fois passée la stupéfaction, il y a le constat qu’à cet instant rien n’est acté (…), l’espoir est qu’il y ait une volonté de trouver du deal », sur des sujets qui n’ont rien à voir avec le vin, souligne-t-il.

Philippe Tapie, président de Bordeaux Négoce, ne veut pas faire d’hypothèses et préconise « calme et sang-froid » : « c’est tellement aléatoire ».

Mais ce taux de 200 %, « il ne faut pas que ça devienne un prétexte pour faire accepter un 50 % voire un 25 %, qui resteraient très lourds de conséquences », prévient-il, car « 1 % de droits en plus, c’est 1 % de commerce en moins » : en 2019, les 25 % de taxes supplémentaires sur les vins s’étaient traduits par 25 % de ventes en moins, soit environ 600 millions de dollars pour les vins de Bordeaux.

Ce premier conflit « a coûté un milliard à la filière française, et nous n’avons eu aucune compensation », souligne Michel Chapoutier, de la maison du même nom, « très en colère contre la Commission européenne » qui, alors que l’épisode se répétait, n’a pas écouté le souhait du secteur de rester hors du conflit. L’Europe « s’est rendu compte de sa bêtise, ils sont en train, à mon avis, de réparer », espère-t-il.

Pour tous, le marché américain, le plus important à l’export, est irremplaçable.

Dans la vallée du Rhône, les États-Unis peuvent représenter 10 % à 20 % du revenu d’un exportateur, et entre un tiers et 50% de sa marge, dit M. Chapoutier, qui décrit « un marché d’excellence ».

« Il y a eu l’effet boom de la Chine qui a relayé les États-Unis parce que la Chine s’est mise à tout absorber [mais avec] un côté un peu éphémère », complète M. Tapie, pour qui « la maturité du marché américain, sa connaissance de nos produits et sa structure font que c’est un marché essentiel ».