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Formation ingénieur : les jeunes mieux armés pour s’installer ?


TNC le 21/01/2025 à 04:55
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« A leur arrivée en école d'ingénieur, beaucoup de jeunes espèrent refaire le monde, sauver la planète. Leurs études les ramènent à la réalité et aux enjeux auxquels l'agriculture est confrontée », expliquent des professeurs de l'Esa d'Angers et de l'Agrocampus Ouest. (© stockbusters, Adobe Stock)

Prendre du recul, s’ouvrir l’esprit : les études d’ingénieur aident à appréhender les multiples enjeux auxquels l’agriculture est confrontée, et à s’y adapter mais aussi, peut-être, à se fixer plus facilement des objectifs, en termes de revenu et temps de travail entre autres, même si les enseignements pourraient être plus poussés en gestion et management.

Nourrir sainement la population, protéger l’environnement, lutter contre le changement climatique… Voilà ce qui motive ces élèves ingénieurs à travailler dans le secteur agricole, et notamment l’élevage, et pour certains à reprendre la ferme familiale ou, n’étant pas du milieu, celle d’un tiers. Autrement dit, plus largement : le besoin d’être utile, d’exercer un métier qui a du sens.

De prime abord, tous n’étaient pas attirés par les productions animales. C’était même plutôt le contraire. Emma et Mélisse, par exemple, en avaient une image négative où l’animal est « exploité comme une ressource », « un produit », voire « une machine ». Leur formation les a fait changer d’avis et leur a fait prendre conscience des impacts environnementaux et climatiques positifs.

Comprendre la complexité de l’agriculture

« Quand ils arrivent, les jeunes non issus du monde agricole, de plus en plus nombreux dans nos établissements, et même les fils et filles d’agriculteurs d’ailleurs, espèrent refaire le monde. Ils veulent apprendre comment sauver la planète », constate Yannick Lautrou, responsable du département « productions animales » à l’École supérieure des agricultures (Esa) d’Angers. « Pour eux, produire est un gros mot. Ils découvrent que cette action est nécessaire à la survie de l’espèce humaine. La réalité s’impose à eux, ils s’y confrontent. »

Produire : un gros mot au départ.

Anne-Lise Jacquot, enseignante chercheuse en productions animales à l’Institut agro Rennes-Angers (Agrocampus Ouest), parle « d’une envie de transition » que les étudiants nuancent au fil des années lorsqu’ils comprennent la complexité de l’agriculture et les multiples enjeux auxquels elle doit faire face. D’ailleurs, parmi leurs principales motivations, elle cite l’attrait pour un système ou des pratiques spécifiques, « respectant la planète », ce qui « n’est pas antinomique avec la technicité, la productivité ».

Ouverture d’esprit et prise de recul

Car c’est bien « l’ouverture d’esprit » que leur apportent surtout leurs études : les élèves ayant témoigné à la conférence « S’installer en agriculture avec un diplôme d’ingénieur » de l’Espace Jeunes au Space 2024 sont unanimes. Et « une prise de recul et de hauteur » sur l’actualité agricole, politique technique, économique, au niveau des filières… et aussi sur son projet d’installation agricole et sa future exploitation.

Une vision plurielle de l’agriculture.

Ce, grâce à la rencontre de nombreux experts, et pas mal de stages, dont plusieurs à l’étranger, qui permettent de voir différents ateliers, systèmes et pratiques. Les discussions entre étudiants (à la différence des BTS, ces écoles en brassent plusieurs milliers de divers horizons, pas seulement agricole ni français), favorisées par les travaux de groupe et les activités extra-scolaires, développent également la curiosité et la tolérance, et donnent une vision plurielle de l’agriculture.

Peu de pratique technique et gestion/management

Ce qui pèche par contre, selon eux, surtout pour ceux qui envisagent de devenir agriculteur : les enseignements techniques, pratiques entre autres, de gestion d’entreprise et de management, ne sont pas assez poussés. Ils constituent pourtant « la base du métier », déplorent-ils. De même, peu de cours portent spécifiquement sur l’installation.

C’est pourtant la base du métier.

Or, un certain nombre d’entre eux ont, dès leur entrée en formation, ce projet à plus ou moins long terme, comme le confirment les participants à la table ronde, les interventions de l’auditoire et l’enquête menée par Anne-Lise Jacquot auprès de plusieurs ingénieurs de l’Esa s’étant installés. Mais avant de sauter le pas, « ils travaillent, en moyenne, cinq ans » dans d’autres fermes, types d’entreprises, secteurs, régions, pays, ajoute-t-elle.

Savoir s’adapter

Quelques-uns n’écartent pas la possibilité de changer de profession en cours de carrière, ou d’être double actif, et voient leur diplôme comme un atout dans cette perspective. Leur « bagage » de savoir, savoir-faire et savoir-être peut aussi leur servir pour leurs engagements professionnels, syndicaux, au sein des filières, dans les groupes techniques, etc.

De plus en plus de jeunes installés, avec un diplôme d’ingénieur :
une très bonne chose.

Yannick Lautrou rappelle : « Il y a 30 ans, la plupart des exploitants agricoles s’arrêtaient au BTS ou avant. Pas besoin d’études d’ingénieur leur disait-on. Aujourd’hui, la proportion de jeunes installés diplômés de nos établissements progresse de manière significative et c’est une très bonne chose. »

Une passion qui doit être viable et vivable

À l’image de leurs aînés, la passion est leur moteur, un élément plutôt encourageant, de même que leur quête de sens, pour les futures générations d’agriculteurs et d’éleveurs, qui invite à un certain optimiste malgré le contexte morose. Les jeunes tiennent cependant à ce que cette passion soit viable et vivable. « Nous sommes passionnés certes, mais il s’agit d’un métier », estiment-ils. Plusieurs tablent sur 2 000 à 3 000 € brut/mois de prélèvements privés, un week-end sur deux ou trois, et trois semaines de congés annuels.

Vouloir un mode de vie, proche de nos concitoyens, n’est pas une honte.

« Chercher à avoir du temps libre n’est pas moins noble qu’essayer d’améliorer ses performances technico-économiques », considère Emma. « Travailler 70 h/sem dès l’âge de 25-30 ans est intenable !, lance Mathieu. Difficile, si l’on a été embauché dans le para-agricole après nos études, de perdre en qualité de vie », enchaîne-t-il, étant prêt à supporter un rythme plus intense, ponctuellement, lors des gros chantiers.

Gagner de l’argent, avoir du temps libre : ce n’est pas moins noble que viser la performance technico-économique.

« Prétendre à un mode de vie plus proche de celui de nos concitoyens n’est pas une honte », insiste Alex. Pour Paul, une rémunération insuffisante pourrait être rédhibitoire, même s’il se verrait difficilement faire autre chose. « Nous sommes des chefs d’entreprise, nous prenons des risques. » Selon Anne-Lise Jacquot, les étudiants envisagent d’ailleurs plus aisément de tenter, se tromper, ne pas y arriver, voire de se reconvertir.

Se fixer plus facilement des objectifs

« Les ingénieurs sont peut-être mieux armés pour s’adapter aux transformations du monde et de la société, fait remarquer l’enseignant chercheur, pour décrypter les marchés, gérer la charge de travail et les pressions multiples, administratives, sociétales… » « Ils définissent un peu plus facilement leurs objectifs personnels et pour l’entreprise, y compris en termes de revenu et d’organisation », renchérit Anne-Lise Jacquot.

L’installation : un marathon, pas un sprint !
Il faut de l’entraînement…

C’est pourquoi Mathieu construit son projet d’installation depuis cinq ans avec l’aide de son père. « Un marathon, pas un sprint, il faut de l’entraînement », illustre-t-il. La plupart de ces futurs agriculteurs entendent « ne pas partir de zéro » et projettent de s’associer pour alléger la charge de travail et limiter les risques financiers. Le tissu socio-économique autour de la ferme est également un gage de réussite.