Accéder au contenu principal

Gestion de l’eau : l’agriculture en première ligne face au changement climatique


TNC le 11/07/2024 à 19:30
EricFretillereetChristianDaniau

Eric Frétillère et Christian Daniau, dans une parcelle de soja. Christian Daniau a testé pour la première année le soja en semis direct. (© TNC)

Lors d’une visite de deux exploitations agricoles charentaises, l’association Irrigants de France a tenu à « rappeler l’importance de préserver l’irrigation sur nos territoires face au changement climatique ». Dans le contexte politique actuel, son président, Eric Frétillère, appelle à une reprise des travaux législatifs concernant le projet de loi d’orientation agricole.

« L’agriculture est en première ligne face au changement climatique. Pour préserver le modèle agricole, nous avons besoin de sécurité et le stockage de l’eau fait partie des solutions », indique Eric Frétillère, président des Irrigants de France.

Un avis partagé par Guillaume Chamouleau, agriculteur à Cellefrouin, en Charente : « dans nos sols calcaires superficiels, on a environ 20 cm de terre. Les cultures peuvent tenir au maximum 10-15 jours sans pluie dans ce contexte… ».

Agriculteurs à quelques kilomètres de là, à Saint-Ciers-sur-Bonnieure, Christian Daniau et son épouse sont dans le même cas. « L’irrigation permet de pallier le manque d’eau et d’assurer la diversification de l’assolement : blé, maïs pop-corn, pois chiche, soja, haricots rouges, et même cacahuètes depuis cette année, avec un essai d’un ha. On s’est lancés aussi il y a 3 ans dans la culture de betteraves porte-graines, dont les contrats sont conditionnés à la garantie d’un accès à l’eau », indique Christian Daniau.

« Pas de solution unique face à l’enjeu de l’eau »

Installé sur 200 ha en 2 sites, Guillaume Chamouleau a la capacité pour irriguer 45 ha sur les 140 de l’un de ses sites, ce qui permet de générer environ 40 % de son chiffre d’affaires. C’est ce qui lui a permis « d’investir dans une nouvelle station de pompage il y a 4 ans, ayant la sécurité de l’eau ». L’irrigation est possible grâce au stockage hivernal dans une réserve de substitution (207 000 m3) construite par son père et d’autres collègues agriculteurs il y a 25 ans. « Ils ont choisi le stockage hors du lit de la rivière, en hauteur, dans une réserve dite bâchée, le sol calcaire n’étant pas imperméable, explique le producteur. Le postulat de départ était de couvrir 60 % des besoins. Le remplissage de la réserve se fait entre le 15 octobre et le 15 avril, et il faut compter environ 11 semaines pour la remplir. Au départ, on avait tablé sur une année sur 10 où cela ne pourrait pas se faire et en 25 ans, ce n’est encore jamais arrivé ! »

Guillaume Chamouleau et ses collègues ont pour projet d’installer des ombrières photovoltaïques sur leur réserve de substitution. (© Terre-net Média)

Guillaume Chamouleau partage l’eau de la réserve avec deux autres agriculteurs du coin : pour son exploitation, il dispose d’environ 80 000 m3. Cette année, ils serviront pour 45 ha de maïs grain, l’année dernière c’était pour 30 ha de maïs waxy et 15 ha de blé meunier.

Avec cette réserve de substitution collective, l’agriculteur met en avant « un impact divisé par 10 sur le débit de la rivière et donc sur la biodiversité et le milieu ». « À l’époque, la construction de cet ouvrage a représenté un coût de 1,5 €/m3, aujourd’hui cela tournerait plutôt autour de 8-10 €/m3. »

« Il n’y a pas de solution unique face à l’enjeu de l’eau », rappelle Eric Frétillère. Il prône « une combinaison des projets de stockage sous toutes leurs formes, de réutilisation des eaux usées traitées ou encore de transferts de grands cours d’eau associés à l’amélioration continue ».

« Le caractère d’intérêt général majeur indispensable »

Dans le contexte politique actuel, « nous sommes dans une grande incertitude », ajoute le président des Irrigants de France. « Le projet de loi d’orientation agricole a été stoppé et mon souhait le plus cher est que le gouvernement, quel qu’il soit, reprenne les travaux législatifs sur le sujet pour continuer à avancer sur ce projet déjà très abouti ».

« Le caractère « d’intérêt général majeur » pour l’agriculture est indispensable ! Il faut protéger les moyens qui permettent de préserver notre sécurité et souveraineté alimentaires et l’eau en est un. Si j’avais une proposition à faire pour le Gouvernement, ce serait de créer un Secrétariat général de l’eau, sous la tutelle du Premier ministre, afin d’avoir une vision équilibrée, et être en lien avec les ministères de l’agriculture, de l’environnement, de l’industrie et de la santé ».

Le président des Irrigants de France déplore aussi « une sous-représentation agricole dramatique dans la gouvernance des projets de territoire ».

« Un accélérateur pour la transition agroécologique »

Dans un avis rendu le 18 juin dernier, l’Académie d’agriculture proposait l’orientation vers l’agroécologie comme condition à la création de réserves de substitution. Pour le président des Irrigants de France, « cela ne peut pas fonctionner comme ça ».  « Face au changement climatique, l’agriculture va devoir s’adapter et l’agroécologie est une solution. Mais conditionner l’accès à l’eau à cette transition n’est pas nécessaire, c’est plutôt l’accès à l’eau qui représente un accélérateur pour la transition agroécologique », estime-t-il.

Sur son exploitation, Guillaume Chamouleau cultive du blé meunier, du maïs grain, du colza, de l’orge fourragère, du lin oléagineux et des pois chiches. (© Terre-net Média)

Les agriculteurs insistent aussi sur l’évolution des pratiques et du matériel qui favorisent un pilotage de l’irrigation plus efficient. Guillaume Chamouleau souligne notamment l’appui des pluviomètres connectés. L’agriculteur a également entamé depuis 6 ans un changement de pratiques avec l’agriculture de conservation des sols, pour une meilleure résilience de son système face au changement climatique. Depuis 2008, Christian Daniau s’est lancé dans le compostage de déchets verts. L’objectif aussi : enrichir le taux de matières organiques de ses parcelles et améliorer le stockage de l’eau.