IA en agriculture : « Faire en sorte que, d’ici 2030, tous les agriculteurs utilisent en routine au moins 5 innovations numériques »
TNC le 27/02/2025 à 18:07
Diviser par 50 le coût de traitement d’une facture, réduire de 20 % les pertes de récoltes liées aux aléas climatiques, définir en temps réel la ration optimale à donner à une vache ou un cochon… : l’usage d’intelligences artificielles dans les outils numériques offre un potentiel gigantesque. Pour les acteurs de la Ferme digitale, ce développement fulgurant constitue aussi un enjeu de « souveraineté numérique » de la ferme France, pour lequel « il faudra des investissements privés à la hauteur des besoins ».
Après celui des capteurs, des solutions d’autoguidage, des drones pour cartographier ses parcelles et des plateformes pour aider à réduire son empreinte carbone, il est venu « le temps des biosolutions et de l’IA ». Au milieu du hall 4 du salon de l’agriculture, le stand de la Ferme digitale s’est imposé, depuis 2016, comme le cœur numérique de la ferme française. Et durant cette édition 2025, l’intelligence artificielle s’invite dans la plupart des discussions.
Forte d’une centaine de start-ups, dont près de la moitié présentaient leur solution au Sia, « la Ferme digitale se lance un grand défi IA », explique son président Jérôme Le Roy, fondateur de Weenat. Avec un objectif précis : faire en sorte « que tous les agriculteurs utilisent au quotidien, d’ici 2030, au moins 5 solutions numériques ».
« Les outils d’IA doivent rapidement faciliter la mise en marché de nos solutions, explique-t-il. Car actuellement, le temps est encore beaucoup trop long entre le développement d’une solution et la disponibilité de l’application auprès des utilisateurs agriculteurs. »
Fiabiliser des prévisions de collecte ou faciliter l’embauche de travailleurs étrangers
L’organisation, durant cette édition 2025 du Sia, du deuxième hackathon Gaïa (Generative artificial intelligence for agriculture, ndlr) en témoigne. Pendant 30 heures, huit équipes ont planché sur huit cas d’usage proposés par des acteurs du monde agricole.
Chez Agrial et Terrena par exemple, il s’agirait d’automatiser les prévisions de collecte de grains avant moisson, afin d’optimiser la logistique et la commercialisation.
À la MSA, l’IA permettrait de faciliter la communication entre les conseillers France Travail et des demandeurs d’emploi ne parlant pas français. En élevage, l’IA pourrait être un bon assistant pour définir, au jour le jour, et le plus précisément possible, la meilleure ration à donner à chaque animal.
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« Pour ce hackathon, nous utilisons deux outils français – Mistral et Hugging face – qui permettent de créer des prototypes et les tester très rapidement », détaille David Joulin. Le fondateur de la startup Ekylibre et coordinateur du hackathon Gaïa en est convaincu : l’IA va permettre de proposer très vite des solutions qui nécessitaient auparavant des mois voire des années de travail pour voir le jour. « Toutes les innovations numériques qu’il a été possible de créer et proposer au monde agricole ces sept dernières années, il ne faudra que 2 à 3 ans pour en développer autant. »
Diviser par 50 le coût de traitement d’une facture
Si l’analyse prédictive utilisant des algorithmes d’IA permet, selon une étude de McKinsey publiée en 2023, de réduire de 20 % les pertes de récolte imputables aux aléas climatiques, l’IA accélère déjà fortement la gestion comptable des exploitations. Le groupe Isagri, par exemple, a déployé sa solution – baptisée Amicompta – permettant de reconnaître les factures et en automatiser le traitement comptable. « En seulement trois mois d’utilisation par une entreprise, le taux de reconnaissance automatique des factures atteint 86 % ». De quoi réduire le temps passé à gérer sa comptabilité. « Le gain de productivité est estimé entre 25 et 50 % pour l’utilisateur », explique Philippe Seguin, le directeur général d’Isagri France.
Ce bénéfice de l’IA en matière de gestion administrative de l’exploitation, David Joulin l’évalue aussi. « Une facture à gérer en compta, ça coûte actuellement 50 centimes. Demain, avec les outils boostés à l’IA, ça coûtera 1 centime. »
🔥 Nous y sommes !
Le Hackathon GAIA 2025 bat son plein…L’énergie est à son comble. Experts tech dans d'agriculture mais surtout passionnés collaborent pour co-créer des solutions innovantes grâce à l’IA.
Nous avons hâte de voir émerger les premières idées !@LaurentTRIPIEDpic.twitter.com/zR8VpKltsb
— bziiit (@bziiitBOOSTER) February 25, 2025
Des outils « open source » pour en faire profiter le plus grand nombre
Le développement fulgurant d’applications intégrant des algorithmes d’IA et leur démocratisation dans les cours de ferme restent confrontés à deux freins majeurs. « Le secteur agricole produit un nombre incalculable de données, mais celles-ci restent trop souvent cloisonnées, inaccessibles ou sous-exploitées », explique Jérôme Le Roy.
Le projet Gaïa soutenu par la Ferme digitale vise ainsi à concevoir une plateforme open source pour générer des « briques logicielles ». Objectif : mettre à disposition un kit comprenant à la fois des logiciels et des données accessibles à tous. « Dans la logique de l’open source, il s’agit de proposer à l’agriculteur une réponse pertinente pour sa ferme, ses sols, ses cultures et son organisation, grâce au croisement d’un maximum de données », abonde David Joulin.
« Investisseurs, réveillez-vous ! »
Le développement de l’IA en agriculture reste par ailleurs une question de moyens. Or les levées de fonds indispensables au développement de l’Agritech et la Foodtech ont été en forte baisse en 2024, selon le panorama publié par KPMG et la Ferme digitale. L’an passé, l’écosystème « agrifoodtech » a réussi à lever 315 M€ en 38 levées de fonds, dont 211 M€ levés par des membres de la Ferme digitale. Un montant global en baisse de 36 % par rapport à 2023 (494 M€).
« Clairement, les investissements privés ne sont pas à la hauteur des besoins », explique Jérôme Le Roy. « Si les investisseurs ne sont pas présents dans les cinq premières années de développement d’une startup, cela assèche ses moyens pour se développer ensuite. »
Au salon de l’agriculture, cette baisse des levées de fonds fait réagir Bruno Bonnell, le secrétaire général pour l’investissement chargé du plan France 2030. « Investisseurs, réveillez-vous ! », scande-t-il. « Les investisseurs privés sont aveugles et trop frileux, estime-t-il. L’État ne peut pas être le seul à prendre conscience de l’enjeu. L’agritech a besoin de fonds propres ! » Tous les acteurs de l’Agritech en sont convaincus : l’enjeu de souveraineté alimentaire défendu dans la loi d’orientation agricole et celui d’une souveraineté numérique de la ferme France vont de pair.