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[Interview] Aurore Bergé veut agir pour renforcer la place des femmes en agriculture


TNC le 04/03/2025 à 18:07
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Aurore Bergé, ministre déléguée à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations. (© Ministère de l'égalité entre les femmes et les hommes)

Si les femmes sont aujourd’hui plus présentes dans les métiers agricoles, il reste encore du chemin à parcourir pour qu’elles puissent s’installer dans les mêmes conditions que leurs homologues masculins. Droits sociaux, équipement, financement, la ministre déléguée en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations revient sur les leviers qui permettraient une plus grande féminisation à la tête des exploitations.

Vous êtes allée au Salon de l’agriculture à la rencontre d’éleveuses, d’agricultrices, quel était votre message ?

C’était une évidence pour moi de venir au salon de l’agriculture. Je suis élue d’un territoire agricole, les Yvelines, qui est un secteur de production de grandes cultures. J’ai beaucoup travaillé avec la présidente de la Commission des agricultrices de la FNSEA sur la question des droits sociaux, car on a un enjeu de renouvellement des générations, qui passe par la féminisation de l’agriculture, et pour attirer les femmes il faut aussi démontrer que les droits sociaux dans les autres catégories professionnelles, les agricultrices peuvent en bénéficier. C’est ce qui a été fait avec le congé maternité, et que l’on va faire aussi sur le congé de naissance, il faut que l’allocation de remplacement puisse être effective.

S’il y a moins de femmes que d’hommes à la tête des exploitations agricoles, c’est également parce qu’elles ont plus de difficultés à accéder au foncier et aux financements. Comment peut-on agir sur ce point ?

En effet, il existe un écart très important sur la détention du foncier puisque la superficie moyenne est de 38 ha pour les femmes cheffes d’exploitation, contre 52 ha pour les hommes. Parfois, c’est lié au choix de filières des femmes, qui lorsqu’elles décident de s’installer en maraîchage par exemple, ont moins de facilité d’accès au foncier.

L’État a mis en place, avec la BPI, une garantie égalité femme-homme.

Et on voit aussi, mais ce n’est pas spécifique à l’agriculture, une difficulté d’accès aux prêts bancaires. C’est pourquoi l’État a mis en place avec la BPI, en 2023, une garantie égalité femme-homme, qui permet d’être soutenu au moment de la création, de la reprise ou du développement d’une activité entrepreneuriale, y compris en agriculture. Beaucoup de femmes ne connaissent pas ce dispositif, il ne faut pas hésiter à le demander !

Beaucoup de filles intègrent les formations agricoles, mais elles sont au final moins nombreuses à s’installer en agriculture. Comment explique-t-on ce phénomène, et comment lutter contre cette tendance ?

On a en effet de plus en plus de femmes dans l’enseignement agricole, mais elles ne choisissent pas forcément les filières de production, alors qu’elles sont surreprésentées en élevage équin, dans le dressage, ou dans certaines filières d’élevage. Cela veut dire qu’il faut que l’on regarde comment on adapte les outils et les accompagnements pour garantir que les femmes comme les hommes aient un choix de filières beaucoup plus large.

Si évidemment on continue à prendre en référence des corps masculins, on exclut spontanément des femmes pour qui il est plus évident de s’engager lorsque l’outil s’adapte au corps, à la morphologie. L’avantage, c’est que lorsqu’on fait progresser le bien-être au travail, au départ pour les femmes, on fait progresser le bien-être pour tous. Dans le Morbihan, les ostréicultrices m’ont expliqué, par exemple, que lorsque l’on a réduit le port de charge de 50 kg à 20 kg, cela avait été un progrès pour tout le monde, et pas uniquement pour elles. C’est aussi comme ça qu’il faut le dire.

N’est-ce pas aussi une question d’image du métier, qui apparaitrait comme moins adapté aux femmes ?

La difficulté qu’on a dans les médias grand public, c’est que l’on ne parle de l’agriculture que dans la difficulté : l’arrachage des vignes, la grippe aviaire, les aléas climatiques… et donc, on a l’image d’une agriculture qui va mal. Certes, ce sont des métiers exigeants et éprouvants, pour autant ce sont des métiers dont on doit être fier. Il y a un rôle dans la manière dont on parle de l’agriculture dans notre pays. Et il existe aussi une méconnaissance des métiers agricoles, qui ont énormément évolué, que ce soit au niveau mécanique, mais aussi dans les pratiques.

Avez-vous identifié des leviers dans d’autres filières en tension ?

L’agriculture n’est pas le seul secteur sous tension, il y a les métiers techniques, scientifiques, du numérique, qui manquent de main-d’œuvre, et où le manque de compétences est évident en France. On n’a pas assez de gens formés dans ces métiers-là qui ont été pendant longtemps ancrés dans des images d’Épinal, et sur lesquels on ne projette pas nos petites filles.

C’est dès le plus jeune âge que l’on ancre des vocations et que l’on change les représentations

Je veux que l’on travaille sur les métiers en tension, les métiers d’avenir, dans lesquels on manque cruellement de femmes, avec des milliers de profils de femmes prêtes à intervenir sur leur métier en milieu scolaire, car c’est dès le plus jeune âge qu’on ancre des vocations et que l’on change les représentations.

C’est d’ailleurs peut-être l’une des raisons qui explique qu’il y ait beaucoup de reconversions pour les femmes, enfermées très jeunes dans des modèles où on leur a dit que certains métiers n’étaient pas pour elles. Ce doit être l’inverse : les petites filles et les petits garçons doivent entendre que tout peut être pour eux. Par contre, on a la nécessité d’adapter ces métiers, en termes de droits sociaux, d’équipements, pour que tout le monde puisse y avoir accès.