La jeunesse agricole des cinq continents cherche à mieux se faire entendre
TNC le 17/04/2019 à 18:00
Pendant trois jours, du 15 au 17 avril 2019, une dizaine de représentants d’organisations représentatives de jeunes agriculteurs, venus des cinq continents, ont participé au Sommet international des jeunes agriculteurs à Paris. Parce qu’il « n’est plus possible de prendre des décisions en agriculture sans les jeunes », ces derniers veulent prendre une part plus importante dans les débats sur les enjeux agricoles et alimentaires planétaires, notamment sur le changement climatique et l’accès au foncier. Ils comptent instaurer une « journée mondiale de la jeunesse agricole » pour mettre en exergue ces enjeux.
Au ministère de l’agriculture se clôturait mercredi 17 avril le sommet international des jeunes agriculteurs. Trois jours de débats à l’initiative de JA réunissant dix délégués d’organisations représentatives de jeunes agriculteurs des cinq continents, pour une « concertation sur l’avenir du métier d’agriculteur ». Avec à la clé un manifeste commun pour mieux faire entendre leur voix.
Selon ce manifeste, « trois piliers sont essentiels pour favoriser l’installation des jeunes agriculteurs », partout dans le monde. « Faciliter l’accès au foncier, avoir une véritable reconnaissance du métier d’agriculteur par les pouvoirs publics et les citoyens, et permettre une représentation de jeunes agriculteurs, présente et écoutée, à la table des négociations »
La jeunesse agricole au cœur du défi alimentaire mondial
Pour mieux porter cette voix commune et sensibiliser plus massivement les élus, représentants d’organisations internationales et citoyens, les jeunes représentants souhaitent instaurer une « journée internationale de la jeunesse agricole », chaque année à date fixe. « Chacun pourra agir le même jour au niveau local pour un effet international », précise le manifeste.
Les jeunes agriculteurs comptent aussi mettre en place une « plateforme numérique » « pour des échanges quotidiens et continus sur l’ensemble des défis à relever ». Ils se sont aussi donné rendez-vous en 2021, en Afrique, pour faire le point, de visu, sur l’avancée de leurs travaux.
« Il n’est plus possible de prendre des décisions en agriculture sans les jeunes ». Introduit par cette phrase, le manifeste met en exergue des enjeux finalement très semblables, qu’on soit au Brésil, au Mali, en Nouvelle-Zélande, au Népal ou en France : l’accès au foncier reste, à quelques nuances près, une difficulté croissante pour les jeunes qui souhaitent s’installer. Et, partout dans le monde, le changement climatique impacte les exploitations. Mais les jeunes sont prêts à la fois à réduire leur empreinte carbone et contribuer à réduire les 14 % des émissions de gaz à effet de serre résultant de l’activité agricole.
« Pas de stabilité politique sans agriculture, et inversement »
Pour Sébastien Abis, chercheur associé à l’Iris, think tank français travaillant sur les thématiques géopolitiques et stratégiques, et directeur du club Demeter, les jeunes agriculteurs doivent faire face à cinq changement majeurs :
- la mondialisation, avec les interdépendances des Etats, leurs convergences et leurs inégalités ;
- l’accélération de l’évolution technologique, avec son apport en précision, mais aussi son lot de « superficialités » ;
- la dégradation globale de l’environnement, se manifestant par les plus grandes variations climatiques et la multiplication des aléas ;
- la méfiance à l’égard du pouvoir politique ;
- les désordres géostratégiques.
« Quelle que soit la région du globe, il n’y a pas de stabilité politique sans agriculture, et inversement. En Europe, c’est la paix entre Etats qui a permis de développer l’agriculture. Au Soudan, les récents événements résultent d’une augmentation significative du prix du pain en décembre dernier. Le métier d’agriculteur sera de plus en plus complexe et il a besoin d’une vision à long terme.
Difficulté d’accès au foncier, voire accaparement des terres
En France, Jeunes agriculteurs pointe régulièrement du doigt la difficulté d’accéder au foncier, premier frein à l’installation. A écouter les jeunes représentants du Brésil, du Népal ou de Nouvelle-Zélande, la problématique semble planétaire. « Aux Etats-Unis, des incitations financières ont été mises en place pour que les propriétaires mettent en location les terres à des jeunes », explique Sophie Ackoff, vice-présidente de la National Young farmers coalition.
« Posséder son exploitation est un rêve de plus en plus utopique », renchérit Chelsea Millar, représentante des jeunes agriculteurs de Nouvelle-Zélande. Avec des exploitations de plus en plus grandes, c’est très difficile de devenir propriétaire. Pour une ferme de 120 ha, il faut compter entre 1,2 et 1,5 M$.
Au Mali, c’est l’accaparement des terres qui s’accroît. « Pour des jeunes, c’est déjà difficile d’accéder à la terre. C’est pire avec les investisseurs internationaux qui dépossèdent les paysans », déplore Ibrahim Sidibé, membre du Roppa (Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest). Comme en France, les organisations agricoles « se battent pour sécuriser les fermes familiales dans les politiques agricoles et textes réglementaires ».
Plus que le métier d’agriculteur, l’attractivité des zones rurales en question
Outre la problématique du foncier, ce n’est finalement pas tant l’attrait pour le métier d’agriculteur que l’attractivité globale des zones rurales qui pose question. « Des milliers de jeunes migrent chaque année vers d’autres pays », regrette Menuka Pradhan, productrice de thé au Népal. « Cela a un impact sur les terres, qui se retrouvent inutilisées, et sur le niveau de production, qui finit par baisser. »
« Le problème global, c’est l’attractivité des zones rurales, confirme Ibrahim Sidibé. Les jeunes désertent les zones rurales car le métier n’offre pas suffisamment de rémunération. » Le problème est similaire en Nouvelle-Zélande. « D’ici 2025, le secteur agricole doit trouver 25 000 personnes ».
La désertification des zones rurales entraîne d’autres problèmes d’ordre social. « Les problèmes d’isolement des agriculteurs augmentent », constate Sophie Ackoff. « La crise des suicides chez les agriculteurs touche aussi les jeunes », déplore-t-elle.