La lutte contre la malnutrition en plein « cataclysme » financier


AFP le 12/04/2025 à 16:54

« Il y a une crise. Et cela va tuer des enfants ». L'arrêt de l'aide américaine et les coupes dans les budgets alloués au développement dans de nombreux pays alarment les professionnels de la lutte contre la malnutrition, première cause de mortalité infantile.

« Jamais il n’y a eu un cataclysme pareil, on a vu de nombreuses commandes s’annuler », déplore Adeline Lescanne, dirigeante de l’entreprise française Nutriset, qui produit le Plumpy’Nut, cet aliment thérapeutique prêt à l’emploi (ATPE) conçu pour le traitement de la malnutrition aiguë sévère.

Les Plumpy’Nut et leurs petits sachets rouge et blanc sont bien connus des humanitaires. Chaque produit fait de pâte fortifiée de lait et de micronutriments pèse 92 grammes pour 500 kilocalories.

De 100 000 en 2000 à 9 millions d’enfants pris en charge 25 ans plus tard

Sur le marché depuis 1999, les Plumpy’Nut ont fait leur preuve, ayant permis de passer de 100 000 enfants pris en charge pour malnutrition sévère au début des années 2000 à 9 millions aujourd’hui, selon Médecins sans Frontières. En vendant ses produits aux Nations Unies, aux ONG et aux gouvernements, Nutriset représente 50 % de la production mondiale d’ATPE.

Mais le quasi-démantèlement par Donald Trump de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) met en péril ces avancées : Washington était le premier donateur du Programme alimentaire mondial (33 % en 2023), de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture (FAO, 15%), et finançait à hauteur de 16 % l’Unicef et 14 % l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Avec l’arrêt soudain de l’USAID, « nos ventes ont baissé et des produits stockés n’ont pas pu être utilisés », explique Adeline Lescanne, car certains clients « n’ont plus assez de fonds pour en acheter ».

Répercussions sur les ONG

C’est le cas de l’Unicef qui, en l’absence de nouveaux financements, est sur le point d’être à court d’ATPE. Selon l’agence de l’ONU, plus de 2,4 millions d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère pourraient être privés de ces aliments d’ici la fin de l’année 2025.

Quelque 2 300 centres de stabilisation, qui fournissent des soins essentiels aux enfants souffrant d’émaciation sévère et de complications médicales, « risquent de fermer ou de réduire considérablement leurs services » et près de 28 000 centres thérapeutiques ambulatoires « destinés à traiter la malnutrition » sont menacés, précise l’Unicef dans un communiqué.

Et cela a des répercussions sur les ONG. L’approvisionnement en Plumpy’Nut était « majoritairement assuré par l’Unicef dans nos zones d’intervention », alerte Léa Vollet, chargée de communication d’Action contre la faim, et « les fonds américains représentaient plus de 30 % de notre financement global ».

« Plus de 200 000 personnes que nous ne pouvons plus aider du jour au lendemain »

En 2023, le réseau de l’association a pris en charge près de 229 000 enfants de moins de cinq ans atteints de malnutrition aiguë sévère. « Mais concrètement, nous ne pouvons plus ni accueillir ni prendre en charge » ceux qui arrivent dans les centres de santé, regrette-elle.

L’ONG Solidarités Internationales, qui dépend à 36 % des financements américains pour 2025, voit ses programmes au Mozambique et au Yémen prendre fin. « C’est plus de 200 000 personnes que nous ne pouvons plus aider du jour au lendemain », explique Julie Mayans, responsable du pôle Sécurité alimentaire et moyens d’existence de l’association.

Le coup de frein américain, bien qu’exceptionnel par sa soudaineté et son ampleur, n’est pas isolé. L’aide publique au développement (APD) était déjà en recul ces dernières années notamment en Italie, Belgique, aux Pays-Bas, en France et au Royaume-Uni dans un contexte de difficultés économiques ou d’accroissement des dépenses militaires.

« La France a coupé son aide de 2,1 milliards d’euros dans le projet de loi de finances 2025, soit un tiers du budget de l’an dernier », déplore Léa Vollet. La responsable associative s’inquiète de baisses importantes dans les pays voisins : coupe de 25 % sur cinq ans en Belgique, de 50 % en Allemagne, renoncement britannique à respecter l’engagement d’allouer 0,7 % de son revenu national brut à l’APD…

Or la Banque mondiale estime que le besoin de financements nouveaux pour réduire la malnutrition sur toutes ses formes est de 13 milliards de dollars par an sur les dix prochaines années. Lors d’un sommet contre la malnutrition organisé fin mars à Paris, 27,55 milliards de dollars d’engagements financiers sur quatre ans ont été recueillis, selon les organisateurs. Les États-Unis étaient absents.