Le transport maritime, un secteur en plein changement
TNC le 27/02/2020 à 18:20
Le coût du fret, plus ou moins avantageux selon les périodes, est un élément déterminant pour la compétitivité des céréales françaises à l’export. Alors que les échanges vont continuer d’augmenter dans les années à venir, face au changement climatique et aux politiques de réduction des gaz à effet de serre, le transport maritime pourrait connaître bon nombre de changements. Par ailleurs, l’évolution du Baltic Dry Index, qui mesure le prix moyen du fret maritime, pourrait permettre également d’anticiper les crises, selon Cyrille Poirier Coutansais, directeur d’étude au centre stratégique de la marine.
À travers le coût du fret, le transport maritime joue sur les exportations d’un pays. En concurrence avec d’autres origines, le blé français s’est notamment retrouvé plusieurs fois en difficulté lors d’appels d’offres à cause d’un prix du transport trop élevé. Alors que les échanges vont augmenter dans les années à venir avec des marchés qui vont se développer, résultant entre autres d’une croissance démographique assez importante en Afrique et sur le continent asiatique notamment, plusieurs facteurs clé vont jouer sur le prix du fret.
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Trois principaux paramètres déterminent les coûts du transport maritime
- Le navire
Les navires qui transportent les céréales sont pour l’essentiel des Panamax, des bateaux capables de transporter près de 60 000 t de céréales. Or, « le marché est relativement tendu, avec un nombre de navires tout juste nécessaire pour le transport de céréales. On n’est pas en surcapacité comme ça a pu être le cas à d’autres moments », explique Cyrille Poirier Coutansais, directeur d’étude au centre stratégique de la marine. Le second paramètre qui va impacter le prix, c’est le pavillon. « On peut être propriétaire de navire et ne pas avoir le pavillon de sa nationalité ». Le choix du pavillon permet notamment d’avoir un coût réduit en termes de cotisations sociales et des avantages fiscaux, plus ou moins intéressants selon les pays. Mais outre le coût, le critère sécuritaire est également à prendre en compte. Pour le pavillon français par exemple, un système de lien entre les armateurs français et la marine nationale, permet d’assurer la sécurité de son transport. « Selon les zones par lesquelles va transiter le navire, il faudra arbitrer entre un moindre coût ou un surcoût en choisissant un pavillon qui sera plus protecteur ».
- Le port
Pour rentabiliser le trajet et baisser les coûts à la tonne, il faut opter pour des gros volumes. Il faut donc pouvoir compter sur des ports qui accueillent de gros navires, donc des ports en eaux profondes. « En mer Noire, jusqu’à présent deux ports russes étaient en eaux profondes. Un troisième est quasiment sorti de terre ».
Mais il faut aussi que le port soit efficace. Récemment en France, des grèves ont perturbé les activités portuaires. « Les ports français étaient revenus à un niveau d’efficacité très intéressant mais là, le signal envoyé n’est pas forcément très bon, affirme le spécialiste. Mais au-delà des fermetures – qui restent assez exceptionnelles – , tout un ensemble de critères est à prendre en compte, tels que l’efficacité administrative, les normes, l’efficacité des dockers, le niveau de mécanisation, ou encore la rapidité. »
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Le nombre de jours de mer va lui aussi déterminer le coût du transport. Des céréales qui viennent de Russie ou d’Ukraine, auront 4 à 5 jours de mer de moins pour gagner l’Égypte que des céréales en provenance de France.
- Le lien Terre-Mer
« Élément parfois sous-estimé mais qui est absolument essentiel, c’est le lien Terre-Mer », c’est-à-dire l’efficacité dans le pré et le post acheminement. Pour travailler avec des navires de 60 000 t de céréales, il faut en amont ou en aval être capable d’envoyer de gros volumes aussi. « Ça passe par le transport fluvial en priorité, ensuite le fret ferroviaire et ensuite le trafic routier ». Une logistique efficace permettra de réduire les coûts.
Mais outres ces éléments, d’autres facteurs vont influencer les coûts du trafic maritime pour les années à venir.
Le changement climatique va modifier le trafic
À l’été 2018, une sécheresse a affecté l’ensemble du continent européen et a baissé le niveau du Rhin et du Danube, ce qui a entraîné une diminution des volumes qu’il était possible de faire transiter par ces fleuves. Des pays du nord de l’Europe qui s’approvisionnaient habituellement en Europe centrale ont alors privilégié l’Ukraine notamment, qui était beaucoup plus intéressante en termes de coûts.
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Autre exemple du changement climatique : le canal de Panama. En 2019, le pays a été affecté par la pire sécheresse des 70 dernières années et le niveau d’eau a baissé fortement. Mais « ne plus pourvoir passer n’importe quel navire par le canal de Panama pour atteindre l’océan Pacifique ou Atlantique et être obligé de faire le tour par le cap Horn, aurait de lourdes conséquences ».
D’autre part, la réglementation évolue et les normes deviennent de plus en plus strictes. Depuis le 1er janvier, une nouvelle règlementation adoptée par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) est entrée en vigueur : le Global Sulphur Cap 2020. Elle impose une limitation des émissions d’oxyde de soufre à 0,5 %, contre 3,5 % auparavant. À horizon 2050, l’ambition de diminuer de moitié les émissions de CO2 touche aussi les navires. Pour concilier respect de l’environnement et rentabilité, les armateurs doivent s’adapter. Une des solutions envisagée est la diminution de la vitesse des navires. « Si on baisse la vitesse des navires de 10 à 15 %, on a une chute des émissions de CO2 d’à peu près 20 %, mais ça veut dire plus de jours de mer, donc un coût plus élevé. »
L’installation de sorte de pots catalytiques sur les navires, les scrubbers, est également envisagée. « Mais ça suppose de sortir les navires de l’eau et de les mettre en chantier pour 2 à 4 mois ». Alors que le marché est tendu du côté des Panamax, ça peut avoir un impact prix non négligeable. Une autre solution est de passer à une propulsion au gaz naturel liquéfié, « qui engendre un surcoût de près de 20 % par rapport à la propulsion au diesel ». Des solutions existent et pour se conformer aux normes, les armateurs auront de lourds investissements à faire, ce qui suppose des coûts supplémentaires répercutés sur le prix du fret. En attendant, ceux qui ne respectent pas les normes prendront des amendes.
Le BDI, un indicateur de crise
Par ailleurs, le transport maritime permet quasiment de prédire des crises économiques, selon Cyrille Poirier Coutansais, à travers le Baltic Dry Index (BDI) qui est un indice des prix pour le transport maritime de vrac sec (céréales, minerais et charbon essentiellement). Il s’agit du marché à terme pour les contrats de transport maritime. « En mai, juste avant la crise de 2008, cet indice était quasiment à 12 000 points. C’était un peu surdimensionné probablement, avec des questions spéculatives derrière. Mais en décembre 2008, le BDI est descendu à 600 points ». En cas de crise, « le premier réflexe que vont avoir les acteurs économiques dans ce grand monde global, va être de réduire leurs achats de matières premières. Et ensuite ça va se disséminer sur toute la chaîne économique. Cet indice permet donc d’anticiper un peu les crises à venir ». Mais c’est un indice à « prendre avec des pincettes », parce qu’il prend en compte l’offre et la demande. Si on a plus de céréales que de navire, ou inversement, ça va jouer sur les prix.
Rouen, premier port français en céréales
En moyenne sur les cinq dernières campagnes (2014/15 à 2018/19) ce sont 17 millions de tonnes de céréales qui ont été embarquées chaque année, selon FranceAgriMer. Avec 39 % des embarquements, Rouen est le premier port français en céréales, suivi des ports de La Pallice (22 %) et Dunkerque (10 %).
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