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Les céréaliers abordent 2025 avec un « moral totalement en berne »


TNC le 14/01/2025 à 17:32
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Philippe Heusèle et Eric Thirouin alertent sur les difficultés croissantes des céréaliers et leur pessimisme pour cette année 2025. (© TNC)

Si les vœux constituent habituellement l’occasion de commencer l’année de façon positive, le président de l’AGPB n’est pas optimiste pour 2025. Faibles revenus et baisse tendancielle des surfaces seront difficilement compensés par la moisson à venir, compte tenu des difficultés aux semis. Les céréaliers attendent donc du gouvernement – s’il reste en place- du concret concernant les surtranspositions, la trésorerie, les charges et, plus globalement, les promesses faites au monde agricole.

« Aujourd’hui, les céréaliers ont le moral complètement en berne. Si toutes les années sont comme 2024, c’est foutu », déplore Eric Thirouin, président de l’AGPB, ce 14 janvier. Le syndicat propose plusieurs solutions, mais constate que les crises s’accumulent.

« On va avoir du mal à se refaire à la moisson »

Car avant la pire moisson depuis 40 ans, en 2024, qui a vu la production de blé tendre baisser de 27,2 % à 25 Mt, les céréaliers avaient, en 2023, le solde le plus faible toutes filières confondues. Pour les agriculteurs spécialisés en céréales, le disponible était de 5 500 € en moyenne pour toute l’année. « Le seuil de pauvreté, on y est véritablement », insiste Eric Thirouin.

Or, les semis de l’automne se sont à nouveau déroulés dans des conditions difficiles, avec des sols gorgés d’eau. S’il y a tout de même eu plus de surfaces de céréales implantées par rapport à 2024, l’AGPB redoute de mauvaises surprises au printemps, car certaines surfaces attaquées notamment par les limaces devront être resemées, et le blé est encore aujourd’hui asphyxié par l’eau qui continue à stagner dans les champs. Bien qu’il soit difficile de prédire la qualité de la prochaine récolte, l’état d’esprit aujourd’hui est que « l’on va avoir du mal à se refaire à la moisson », souligne Eric Thirouin.

Un « mur » qui se profile en l’absence de solutions techniques

Et la disparition progressive des produits phytosanitaires autorisés en France ne fait que renforcer les difficultés. Le dernier baromètre céréalier, réalisé pour l’AGPB, place en tête des préoccupations pour la campagne actuelle « les impasses techniques et agronomiques liées aux réglementations ».

« Les molécules de désherbage sont sur la sellette, on sait très bien qu’on finira par ne plus en avoir du tout », avance le président de l’AGPB, et ce malgré la promesse des gouvernements successifs de ne pas interdire en l’absence de solution. Eric Thirouin cite ainsi l’exemple du triallate, dont l’ancienne formulation a été interdite. Les agriculteurs peuvent utiliser leurs stocks jusqu’en mars et, en parallèle, le fabricant a déposé en octobre une demande pour une nouvelle formulation de son produit auprès de l’Anses, nouvelle formulation qui est déjà autorisée dans plusieurs pays européens, notamment l’Espagne et l’Italie. L’homologation par l’Anses prend entre 12 et 16 mois, mais ce travail ne commence qu’une fois un numéro de dossier attribué, or ce n’est à ce jour pas le cas. D’où l’urgence, pour l’AGPB, de permettre dans la loi une priorisation des dossiers de l’agence de sécurité sanitaire. Un point présent dans la proposition de loi du sénateur Franck Ménonville, aujourd’hui en suspens.

« On sait bien qu’on doit continuer à faire des efforts, mais il nous faut trouver des alternatives », précise Eric Thirouin, qui salue les 146 M€ obtenus en 2024 pour la recherche, dans le cadre du Parsada (Plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures).

Des importations ukrainiennes sans clauses miroir

Pour Philippe Heusèle, secrétaire général de l’AGPB, ces décalages entre solutions au niveau européen « accélèrent la déprime chez nos collègues ». Il déplore, de son côté, les risques d’une intégration de l’Ukraine au sein de l’Union européenne. Les importations de blé tendre ont en effet été multipliées par 20 depuis le début de la guerre, des importations qui étaient justifiées pour soutenir l’économie ukrainienne au moment du blocus de la Mer Noire, mais qui sont réalisées sans clauses miroirs, explique l’AGPB. « Il nous faut a minima un retour à l’accord d’association de 2016 », ajoute Philippe Heusèle, accord qui prévoyait la possibilité pour l’Ukraine d’exporter dans l’UE 900 000 tonnes de blé tendre à droits nuls, puis à 95 €/t au-delà de ce seuil. Une demande qui se négocie en trilogue au niveau européen, et qui dépend donc du président de la République, explique le secrétaire général de l’AGPB.

Une liste de demandes vis-à-vis du gouvernement

À présent qu’un nouveau gouvernement est en place, le syndicat attend par ailleurs une accélération des mesures : mise en place des prêts de consolidation avant le vote de la loi de finances, fonds d’allègement des charges, prise en charge complète des intérêts de l’année pour les situations les plus difficiles, activation de la réserve de crise européenne… « On demande que les promesses soient tenues », réaffirme à nouveau Eric Thirouin, impatient « qu’il y ait une stabilité » au niveau politique.

Dans un contexte déjà troublé, le président de l’AGPB a également « hâte d’être en février », une fois terminées les élections aux chambres d’agriculture. « On aimerait passer plus de temps à construire qu’à descendre dans la rue », confie-t-il, incitant sans surprise à voter largement pour les listes FNSEA et JA. « Notre légitimité se trouve là, pour être efficace, efficient auprès des pouvoirs publics », rappelle-t-il.