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Les Chevaliers du tastevin, 90 ans de convivialité


AFP le 19/11/2024 à 12:08

Il est minuit et le festin entre dans sa cinquième heure. « Boire un petit coup est doux... », tentent d'entonner des Asiatiques émoustillés par les Meursault et autres Corton. Tour de Babel rabelaisienne, les Chevaliers du Tastevin fêtent leurs 90 ans.

« Bon appétit et large soif », lance le maître de cérémonie aux plus de 550 convives venus fêter cette confrérie fondée en 1934 pour promouvoir les vins de Bourgogne et qui compte aujourd’hui plus de 13 000 membres dans le monde entier.

Comme l’indique « l’escriteau » (menu), cinq plats les attendent, escortés par les plus grands vins, du Chambolle-Musigny au Mercurey, et toujours annoncés sur l’estrade par des trompettistes à la tunique rouge, verte et jaune.

« On se croirait au paradis », résume Yves Gassler, un agent immobilier venu des Pays-Bas, pour qui « la Confrérie, c’est la célébration de la Bourgogne et des vins de Bourgogne et une occasion de se faire plaisir ».

Tout est parti d’un défi lancé à un banquet dans les années 1930 : à l’époque, les bourgognes ne se vendent pas et deux vignerons-négociants décident de créer une société bachique afin de contribuer à la « propagande » – on dirait « marketing » aujourd’hui.

16 dîners par an

« Mon arrière-grand-père racontait, « On avait des bouteilles jusqu’en haut de l’escalier de la cave ». Il fallait les boire et faire de la place pour la vendange à venir », se souvient auprès de l’AFP Joseph Barbier, chevalier de père en fils.

Les Chevaliers s’appelleront « du tastevin » (avec un « s » muet), du nom de cette petite soucoupe faite pour déguster les vins.

Et l’instrument de propagande sera les « chapitres » : 16 dîners par an organisés à l’occasion de l’intronisation de nouveaux membres, qui vont devenir autant d’ambassadeurs de la Bourgogne.

« Par Noé, père de la vigne. Par Bacchus, Dieu du vin. Par Saint-Vincent, patron des vignerons. Nous vous armons chevalier du tastevin », déclare lors de ces intronisations le Grand Maître de la confrérie, un cep de vigne en guise d’épée posé sur les épaules de l’impétrant.

Plus de 13 000 membres

Samedi, pour marquer les 90 ans des chapitres, les Singapouriens, Chinois et Japonais sont nombreux à redescendre de l’estrade, un tastevin accroché à leur cou, symbolisant l’explosion de la demande asiatique pour les bourgognes.

« En 1934, les fondateurs se sont dit, « À 1 000 membres, on arrête ». On en a 13 498 aujourd’hui », explique Arnaud Orsel, intendant général de la Confrérie. « On va continuer gentiment, tout en maintenant cet esprit de convivialité », ajoute-t-il. « Il s’agit de faire boire le monde à la santé de la France ».

Dans le prestigieux Château du Clos de Vougeot, navire amiral de la Confrérie noyé dans les vignes de Côte-d’Or, les vieilles pierres bâties il y a 900 ans ont ainsi accueilli Emmanuel Macron, qui y a offert un repas d’adieu à l’ex-chancelière allemande Angela Merkel, en 2021. Le roi de Suède Carl XVI Gustaf y a été fait chevalier, tout comme Charles de Gaulle, Alfred Hitchcock, Michel Barnier…

« Pas vieux jeu »

« C’est le plus grand instrument de marketing au monde », estime le Néerlandais Emile Gassler, 80 ans, qui « n’a pas manqué un seul chapitre en 48 ans ». Sur l’estrade, s’époumonent les « Cadets de Bourgogne », ces « chanteurs à la gueule de bois », comme l’appellent les Chevaliers avec leur humour potache.

« Boire un petit coup… », entonnent-ils, déclenchant l’écho ravi de l’assistance, jusqu’à une tablée d’Asiatiques qui essaient de suivre sur le livret de chants laissé aux convives.

« Non, ce n’est pas vieux-jeu. Je suis le chef d’une entreprise technologique mais la tradition, c’est très bien », dit John Suh, 54 ans, qui vit entre Séoul et Los Angeles. Il est près d’un heure du matin et les joyeux Chevaliers, gais lurons de l’âme bourguignonne, rejoignent leur navette, l’estomac lourd, mais le cœur léger.

« Mon but est d’aller jusqu’à mon 50e chapitre », lance Emile Gassler, vétéran des joyeux drilles.