Les marchés du blé et du maïs font le yo-yo au gré de la crise ukrainienne
AFP le 16/02/2022 à 11:22
Une déclaration de diplomate, une rumeur de blocus maritime, tout ou presque est bon, depuis un mois, pour faire brutalement osciller les cours du blé et du maïs au gré de la crise ukrainienne, dans une région clef pour ces marchés.
D’ordinaire beaucoup moins volatil que la Bourse ou le pétrole, le marché des produits agricoles ne se reconnaît plus. « Le marché ne connaît pas la nuance : soit c’est guerre et ça monte, soit c’est la paix et ça baisse », observe Gautier Le Molgat, analyste au cabinet Agritel (Argus Média France).
Entre les déclarations optimistes du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov lundi, l’annonce du déplacement de l’ambassade américaine en Ukraine, puis celle du retrait d’une partie des troupes russes postées à la frontière mardi, les péripéties ukrainiennes ont retourné trois fois le marché en moins de 24 heures. L’enjeu est capital pour le blé, car selon les estimations du ministère américain de l’Agriculture (USDA), la Russie devrait rester le premier exportateur mondial et l’Ukraine, pointer en quatrième position, les deux pays assurant, au total, près d’un tiers des échanges mondiaux (32 %).
Côté maïs, l’Ukraine s’inscrit au quatrième rang des exportateurs et pèse environ 22 % des échanges. À ce jour, les manœuvres de l’armée russe n’ont pas eu d’effet sur les exportations russes ou ukrainiennes.
Paradoxalement, si le prix du blé reste franchement orienté à la hausse sur les grandes places mondiales, les cours du blé ukrainien ont baissé. « Si on reste dans un conflit larvé », estime Gautier Le Molgat, « la volatilité restera de mise et les deux pays qui seront perdants seront la Russie et l’Ukraine : leurs devises vont se déprécier et peu d’opérateurs vont prendre le risque d’acheter sur une origine lointaine sans avoir de garantie de livraison. » « On a déjà vu des clients renoncer à des achats d’huile de tournesol ukrainienne, parce qu’ils se demandaient s’ils seraient bien livrés en cas de conflit avec la Russie », explique Alan Suderman, économiste en charges des matières premières pour la plateforme StoneX. L’Ukraine est le premier exportateur mondial d’huile de tournesol.
Pour autant, « avec le temps, ce serait accepté comme un risque permanent », entrevoit cependant Jon Scheve, du courtier Superior Feed. D’ici quelques mois, sans développement majeur, les cours pourraient ainsi ne plus intégrer une prime liée à une possible invasion de l’Ukraine, selon lui. Le courtier souligne également que les exportations venues d’Ukraine et de Russie ralentissent traditionnellement en mars, « donc ce pourrait être moins un problème ».
Blocus et embargo
Les intervenants ont aussi en tête le scénario du pire. « S’il y a vraiment un conflit », analyse Gautier Le Molgat, « si les Russes bloquent le port d’Odessa, l’Ukraine aura des difficultés à exporter. Dans une telle situation, on peut imaginer qu’il y aura des sanctions économiques. Les États-Unis pourraient ainsi décider d’interdire le commerce de blé russe en dollars. » Outre Ukraine et probablement Russie, les pays les plus touchés seraient alors leurs premiers clients, à savoir l’Egypte, la Turquie, l’Indonésie ou le Maroc, contraints de trouver ailleurs, du blé, sans doute plus cher.
L’Union européenne, les États-Unis ou l’Australie, les autres géants du marché, seraient dès lors les premiers bénéficiaires de ce trou d’air. L’incertitude et la volatilité exceptionnelles que connaissent les marchés agricoles attirent les investisseurs. En début de mois, de nombreux opérateurs avaient parié à la baisse sur le blé, dans des proportions plus vues depuis 18 mois.
Ces derniers jours, Teucrium, qui gère des fonds indexés sur les marchés agricoles, a enregistré des entrées d’argent d’investisseurs intéressés par la progression des cours du blé, explique Jake Hanley, son directeur.
Une résolution diplomatique ou un statu quo en Ukraine soulageraient le marché, de l’avis général, mais les cours pourraient rester élevés. Les prix du blé et du maïs sont actuellement supérieurs de 22 % et 18 % à leur niveau de l’an dernier à la même époque.
La prochaine récolte de blé est menacée par la sécheresse actuelle dans le sud des grandes plaines américaines, tandis que la production de maïs devrait aussi souffrir du manque de pluie en Argentine et au Brésil. « On s’est tellement concentrés sur la Russie et l’Ukraine », estime Alan Suderman, « que les marchés ont oublié tous les autres problèmes dans le monde. »
Pour suivre les évolutions des cours des matières premières agricoles, rendez-vous sur les cotations Agri Mutuel.