Les raisons de la colère des agriculteurs en France
AFP le 22/01/2024 à 06:05
Haro sur l'Europe et ses « normes », charges en hausse et « désespérance » : la colère des agriculteurs français témoigne d'un « ras-le-bol » profond des campagnes, qui puise sa source dans un sentiment d'« abandon » des pouvoirs publics dans un contexte difficile de transition climatique.
Une « sorte de révolte »
Depuis l’automne, la grogne s’amplifie : parti du Tarn, un mouvement, pacifique, de retournement des panneaux signalétiques des communes, a essaimé partout en France. Une façon de dire qu’« #On marche sur la tête », slogan repris de Narbonne à la frontière belge.
Le ton s’est durci ces derniers jours, avec depuis jeudi soir en Occitanie le blocage de l’autoroute A64 mais aussi des rassemblements devant administrations ou sur des ronds-points rappelant la fronde des « gilets jaunes ».
« Ces mouvements ont tous les mêmes ferments : l’incompréhension grandissante entre la réalité de la pratique du métier d’agriculteur sur le terrain et les décisions administratives centralisées, qu’elles soient à Bruxelles ou dans les capitales européennes, qui créent une incompréhension majeure et finalement une sorte de révolte », a expliqué le président du puissant syndicat FNSEA Arnaud Rousseau mi-janvier.
L’empilement des normes
« La pénibilité physique a laissé peu à peu la place à une pénibilité morale qui est due notamment à l’édiction de règles et de normes de plus en plus lourdes à supporter (…) à un moment donné la coupe déborde », a lancé samedi Etienne Gangneron, président de la chambre d’agriculture du Cher au ministre de l’agriculture Marc Fesneau.
Les syndicats dénoncent la lenteur du gouvernement à mettre en oeuvre la « simplification » administrative promise. « Les agriculteurs qui nous appellent ne savent même plus ce qu’ils ont le droit de faire ou non » et ne se sentent « pas accompagnés comme il faut face aux défis climatiques, géopolitiques et sanitaires », a déclaré à l’AFP Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale, 2e syndicat agricole.
Donnant l’exemple des haies, Arnaud Rousseau a expliqué : « Pourquoi les agriculteurs n’en font pas ? Parce qu’il y a 14 textes réglementaires », alors même que chacun reconnaît les vertus de la haie contre l’érosion, pour la biodiversité etc.
Ces contraintes, auxquelles s’ajoutent des indemnisations jugées « trop tardives » pour des filières en crise (viticulture, élevage), ruinent « l’attractivité » dont le secteur a besoin pour renouveler ses chefs d’exploitations vieillissants.
Le rejet du « Pacte vert » européen
Si la France est la première bénéficiaire de la Politique agricole commune (Pac) avec 9 milliards d’euros d’aides par an, ses exploitants contestent avec la dernière énergie la stratégie de verdissement de l’agriculture européenne.
Elément central du Pacte vert de l’UE, un projet législatif visant à réduire de moitié d’ici 2030 l’utilisation des produits phytosanitaires chimiques (par rapport à la période 2015-2017), a été rejeté au Parlement européen fin novembre.
Mais les agriculteurs, qui se sont réjouis du renouvellement de l’autorisation de l’herbicide controversé glyphosate, redoutent de voir le retour de ce projet et entendent peser avant les élections européennes de juin.
Les agriculteurs français dénoncent aussi le refus de Bruxelles de prolonger en 2024 la dérogation permettant de mettre en culture les terres en jachère (environ 4 % des terres agricoles) alors que « la tension alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine se poursuit ».
Autre « sujets brûlants » : des dossiers techniques portant sur la préservation des prairies et une nouvelle cartographie européenne des tourbières et zones humides qui « impacterait 0,3 % de la surface agricole utile dans les pays européens et jusqu’à 29 % en France », dont des plaines de Beauce, fustige le représentant des céréaliers, Eric Thirouin.
« Concurrence déloyale »
« Le coût de l’énergie a explosé, les coûts des intrants ont augmenté, tout comme ceux de la main d’oeuvre ou de l’alimentation animale. La guerre en Ukraine perturbe les flux avec des importations énormes en Europe de céréales, de volaille ou de sucre. Ça perturbe toutes les filières, ça fait baisser les prix », a expliqué à l’AFP Christiane Lambert, présidente du Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne.
« On sert à nos enfants dans les cantines des aliments importés qu’on nous interdit de produire en France », a-t-elle affirmé.
La négociation de traités de libre-échange (Mercosur) couplée à l’imposition de mesures restrictives nourrit l’exaspération, souligne-t-elle, même si les éléments déclencheurs sont différents : « la baisse du cheptel » aux Pays-Bas, la « taxation du carburant » en Allemagne.
Pesticides et carburant, des moyens de production
Malgré de bons rendements, la chute des cours et le maintien de charges élevées a fait baisser les revenus des céréaliers, qui estiment qu’on « va dans le mur » avec la nouvelle stratégie du gouvernement de réduction des pesticides Ecophyto 2030.
« Pas d’interdiction sans solution » martèle la FNSEA, son mantra pour les pesticides, le partage de l’eau ou le relèvement progressif de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR), « négocié en responsabilité » avec Bercy.