Les terres agricoles, enjeu oublié des municipales
AFP le 05/02/2020 à 14:05
Comme des centaines d'agriculteurs en France et dans une quasi-indifférence à l'approche des municipales, Philippe Robert lutte contre le bétonnage pour conserver ses champs près d'Aix-en-Provence, un demi-siècle après avoir vu ses propres parents expropriés.
« Que les terres des agriculteurs deviennent un enjeu électoral ? C’est pas gagné… », grimace Philippe Robert, un an après l’objectif « zéro artificialisation nette de sols agricoles » proclamé par Emmanuel Macron.
Depuis son installation entre Aix-en-Provence et Pertuis (Vaucluse), l’agriculteur a vu ses champs grignotés hectare par hectare : six sacrifiés pour une autoroute, trois autres pour une route, dix inclus dans une zone d’aménagement différée (ZAD)… Entre montagne Sainte-Victoire et Luberon, la plaine où cet agriculteur bio cultive céréales et pommes de terre est un rêve d’agriculteur : soleil de Provence, irrigation garantie par des canaux et la Durance, accès à la deuxième métropole de France, Aix-Marseille.
« Ici, c’est tout plat. Alors c’est facile d’urbaniser », résume l’agriculteur, attablé devant un plan de Pertuis : une « zone agricole protégée » a été dessinée en 2016, mais Philippe Robert s’inquiète que la zone d’activités qui la coupe en deux ne s’étende.
Un collectif a pu rassembler 300 personnes lors d’une manifestation. Un signe modeste rapporté à l’ampleur du phénomène : la France a perdu 5 millions d’hectares de terres agricoles en 40 ans. Dans la métropole marseillaise, où la spéculation et l’urbanisation font rage, 900 hectares s’évanouissent chaque année.
C’est ainsi qu’à Pertuis, le village a débordé du coteau vers la vallée en contrebas, près de la sortie d’autoroute. Une enfilade de supermarchés, de pompes à essence et de rond-points est née, qui grignote sur de précieuses terres arables.
« On a beau interpeller, ce n’est pas un sujet central », regrette Philippe Robert. Qui ne sait plus s’il faut désespérer ou se réjouir lorsqu’une inondation fait enfin « réfléchir les gens » : l’eau n’est plus absorbée par la terre, aggravant les dégâts.
Un peu partout toutefois, les discours des élus locaux, qui ont les clés des plans d’urbanisme, évoluent et des initiatives émergent. La métropole marseillaise, par exemple, veut encourager l’agriculture locale et les circuits courts, et aide financièrement les propriétaires qui acceptent de retirer leurs terres agricoles de la vente.
Urbanisation galopante
Mais « l’urbanisation galopante, la création de zones d’activités ou l’élargissement de voies routières » se poursuit, s’alarme l’association France Nature Environnement (FNE). Dans les Bouches-du-Rhône, elle a répertorié 3 000 hectares en danger : 75 hectares menacés par un projet de logements à Istres, 8 hectares d’oliviers par un programme immobilier à Marseille, ou encore 15 hectares de blé dur et pois chiche sacrifiés pour une carrière à Arles…
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« Il y a une prise de conscience au plus haut niveau de l’État et parmi les citoyens, mais au niveau des communes, ça bloque », analyse Jean-Luc Moya, de FNE Paca. « Il y a une primauté des problématiques d’emploi, les maires veulent tout faire pour développer le « business » », au détriment des terres agricoles.
Certaines communes s’y attaquent toutefois, comme Gignac-la-Nerthe, qui n’a pourtant rien d’une cité champêtre, avec sa vue sur l’aéroport de Marignane et la zone industrielle de l’Étang de Berre.
Le maire Christian Amiraty, candidat à sa réélection, plaide pour « une loi qui oblige tous les maires à établir un « projet agricole communal » » pour prendre en compte l’enjeu. Sa commune a protégé l’ensemble des terres et n’hésite pas à en préempter, sur lesquelles elle installe des agriculteurs.
Thibaud Beysson et son épouse cultivent ainsi un terrain acheté par la mairie au bout d’un chemin de terre, après la sortie d’autoroute et constructions sauvages. Une carcasse de voiture rappelle que le terrain était en friche, jonché de déchets. Comme beaucoup, Thibaud Beysson ne trouvait pas de propriétaire « réglo » : il fallait se contenter d’un bail précaire ou s’installer sur des terres trop morcelées ou infertiles. « J’ai été voir des maires, mais ils ne veulent pas se mouiller et bloquer » des terres qu’ils pourraient rendre constructibles, raconte-t-il. La mairie de Gignac, elle, a signé pour neuf ans, et ce fils d’agriculteur de 35 ans a pu planter sereinement asperges, artichauts, blettes et chou kale, qu’il vend localement.
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