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Géopolitique

L’Ukraine est de nouveau une actrice centrale de la scène céréalière mondiale


TNC le 05/06/2024 à 05:08
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La production ukrainienne de blé en 2024 risque d'être un peu en-deça de celle de 2023, mais devrait dépasser les 20 Mt. (© Anna, AdobeStock)

Depuis plus de deux ans, la guerre bouleverse la production et les exportations céréalières de l’Ukraine. Pourtant, et même si la situation reste fragile, le pays semble relever le double défi agricole et logistique auquel il est confronté.

L’Ukraine retrouve sa place dominante sur la scène internationale des céréales et s’est même renforcée, a expliqué l’analyste Arthur Portier (Argus media France/Agritel) lors d’un webinaire organisé le 3 juin à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Géopolitique des céréales.

Depuis février 2022, le conflit avec la Russie a mis face à « deux défis » le pays, acteur majeur du commerce du maïs, du blé, du colza et de l’huile de tournesol.

« Challenge agricole » d’abord, auquel les producteurs ukrainiens ont répondu « avec brio », estime-t-il. Produisant autour de 60 Mt depuis 2013, et après un record de 85 Mt en 2021, ils ont réussi à récolter environ 55 Mt de céréales en 2022 et 56 Mt en 2023. « On les attend moins cette année, mais ils devraient compter dans le paysage agricole », et produire assez pour leur marché intérieur et pour l’export.

D’après les estimations établies par le cabinet UkrAgroConsult à la mi-mai, l’Ukraine produirait 20,8 Mt de blé et 27,4 Mt de maïs en 2024, contre respectivement 21,5 Mt et 29,5 Mt en 2023.

Il reste toutefois « un point d’interrogation assez majeur » sur la capacité à produire des zones occupées à l’Est du pays, reprend Arthur Portier, zones qui représentent autour de 20 % de la production de blé, d’orge et de tournesol du pays et 10 % de de sa production de colza.

Voies alternatives aux exports maritimes

Défi logistique aussi. Là aussi, le pays a fait preuve d’une « résilience impressionnante » : contrainte de développer des voies alternatives à l’export par la mer, il a renforcé sa logistique et « retrouve véritablement sa place sur l’échiquier mondial ».

Rembobinons. Avant la guerre, l’Ukraine exportait 90 % de ses grains par la mer Noire, depuis le port d’Odessa vers le détroit du Bosphore.

Odessa bloquée, elle s’est tournée vers d’autres solutions – les camions, le chemin de fer, le Danube – pour expédier ses produits agricoles vers l’Europe, notamment dans le cadre des « couloirs de solidarité » mis en place par l’UE.

Quelques mois après le début de la guerre, les exports fluviaux, ferroviaires et routiers étaient montés en puissance. À cela s’ajoutait en juillet 2022 l’accord sur le corridor sécurisé en mer Noire, conclu après d’âpres négociations avec la Russie, sous l’égide de l’Onu et de la Turquie.

7 Mt de grains ukrainiens exportés en avril 2024

Le corridor maritime a permis la reprise des expéditions de marchandises agricoles depuis les ports ukrainiens (33 Mt en un an). Et quand cet accord a pris fin à l’été 2023, l’Ukraine a choisi de continuer d’exporter depuis Odessa.

En avril 2024, le pays a exporté 5,3 Mt de grains via Odessa, 1,1 Mt via le Danube et 1 Mt via les trains et les camions, « portant le total mensuel à plus de 7 Mt pour le troisième mois consécutif », un niveau similaire à celui d’avant-guerre, pointe Arthur Portier : « le défi logistique de l’Ukraine est gagné », bien que suspendu à d’éventuelles frappes russes sur Odessa.

Ces exports dynamiques expliquent le repli progressif des prix mondiaux après les pics du printemps 2022 : même s’ils ont grimpé ces dernières semaines, « nous ne sommes plus sur les niveaux de 400 €/t du début du conflit, quand l’Ukraine ne pouvait pas exporter une tonne de blé puisque 90 % de sa marchandise sortait par la mer et qu’Odessa était bloquée ! »