Maintenir un foncier agricole productif, un enjeu de souveraineté alimentaire
TNC le 28/11/2024 à 17:02
Mieux protégées de l’urbanisation grâce au Zéro artificialisation nette (ZAN), les terres agricoles restent menacées par les changements d’usage qui réduisent le potentiel productif de l’agriculture. En congrès le 28 novembre à Versailles, la Fédération nationale des Safer (FNSafer) a abordé cette question au regard de l’enjeu plus global de la souveraineté alimentaire.
La protection du foncier reste l’une des missions premières des Safer, réunies en congrès ce 28 novembre autour du thème de la souveraineté alimentaire. Revenu sur le devant de la scène avec la crise sanitaire, le concept de souveraineté souffre cependant de nombreuses contradictions, notamment en matière de réglementation, ce qui empêche son déploiement efficace, explique Thierry Pouch, économiste aux chambres d’agriculture.
Si aujourd’hui, l’autosuffisance de la France n’est « pas fondamentalement dégradée », ajoute-t-il, tous les secteurs ne sont pas sur le même plan, notamment la volaille ou les fruits et légumes. « Il y a des perspectives d’avenir, encore faut-il y mettre les moyens, et assurer aux acteurs de l’agriculture, qui ont dans le passé accompli des prouesses inattendues mais réelles, une visibilité », ce qui passe par certains leviers, dont la protection du foncier.
Protéger l’aspect productif du foncier agricole
Il ne s’agit pas simplement de protéger les terres, mais surtout de préserver leur vocation productive. En ce sens, face à l’artificialisation des sols, la loi Climat et résilience, entrée en vigueur en 2021, a constitué une « mesure radicale », estime Gabriel Beaulieu, vice-président d’Intercommunalités de France. Avec la révision des PLU et PLUI, dans la plupart des territoires, « on réduit les surfaces constructibles donc on rend des surfaces à l’agriculture, au naturel », détaille-t-il.
Si l’artificialisation des sols, qui il y a 10 ans représentait une perte de plus de 30 000 ha par an, commence à se résorber, aidée par des marchés immobiliers atones, « a contrario, un phénomène de consommation masquée se développe », rappelle Nicolas Agresti, directeur des études à la FNSafer.
Depuis quelques années, les Safer se penchent ainsi sur ces changements d’usage du foncier agricole, détourné pour d’autres usages professionnels, les loisirs, le stockage ou encore des dépôts sauvages.
« C’est un phénomène diffus, insidieux, qui dure sans doute depuis longtemps mais que personne n’avait identifié », précise Gilles Flandin, Secrétaire général, FNSafer et Président de la Safer Auvergne-Rhône-Alpes. Mais depuis les premières observations, on s’aperçoit que cette dynamique est à l’œuvre sur presque tout le territoire, explique-t-il. Entre 2015 et 2023, sur 2 871 424 ventes, les Safer considèrent que 304 000 relèvent de la consommation masquée, soit environ 10 % des ventes.
Périurbain, littoral, bocage : des facteurs de sensibilité
La crise sanitaire a également amplifié le phénomène, répondant à un besoin de nature de la part des acheteurs qui n’ont pas tous les moyens d’acquérir une maison à la campagne. Les territoires sont plus ou moins exposés à ce phénomène. Ainsi, la situation locative des parcelles préserve généralement les biens du détournement d’usage, de même pour les propriétés bien structurées.
« Mais là où le foncier est morcelé, on a un phénomène beaucoup plus fort, tout comme dans les espaces bocagers », explique Nicolas Agresti. En zone périurbaine, ou littorale, dans les territoires attractifs, on observe plutôt un phénomène de « cabanisation », explique-t-il. On assiste au final à un étalement des habitats « en peau de léopard » : les espaces agricoles deviennent interstitiels, et il devient de plus en plus difficile de travailler ces surfaces.
Dans certains territoires, la consommation masquée est beaucoup plus importante que l’artificialisation, ce qui en fait un enjeu majeur pour les Safer. D’autant que, même si la parcelle n’est pas artificialisée, dans les faits, « quand on l’a achetée pour usage de loisir, c’est très difficile de la rendre après à l’agriculture », constate Nicolas Agresti.
Travailler avec les collectivités locales
Pour lutter contre ce phénomène, « l’un des principaux moyens aujourd’hui, c’est le partenariat avec les collectivités locales », estime Gilles Flandin. La Safer ne pouvant pas tout préempter, certaines collectivités peuvent ainsi acheter les terrains et les louer aux agriculteurs. Cependant, des évolutions législatives restent nécessaires, car il reste des moyens de contourner les droits d’intervention des Safer, par exemple avec les baux emphytéotiques, qui échappent au droit de préemption.