Mobilisations agricoles : « nos demandes pourraient être à nouveau bloquées »
TNC le 27/11/2024 à 12:00
Concurrence déloyale, promesses politiques non tenues, complexité administrative… Après une campagne particulièrement difficile, les points de crispation sont nombreux pour les agriculteurs hexagonaux. À l’occasion du dernier rendez-vous Oui à l’innovation, Eric Thirouin de l’AGPB et Yves Fantou de Culture Viande ont exprimé leurs inquiétudes et leurs attentes pour la production agricole.
Début novembre, les sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Frank Menonville (centriste) ont déposé une proposition de loi complémentaire à la loi d’orientation agricole, adoptée à l’Assemblée nationale et attendue à la chambre haute pour début 2025. Les sénateurs entendent ainsi « libérer la production agricole des entraves normatives » et accélérer les choses.
L’examen de cette proposition de loi prévu le 17 décembre est « un signal positif » pour Eric Thirouin, président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), mais qui « pourrait ne pas donner satisfaction si le gouvernement est retourné prochainement ». « C’est une situation inquiétante, nos demandes pourraient à nouveau être bloquées », exprime-t-il lors du webinaire Oui à l’innovation du 26 novembre.
Dans ce contexte, le président de l’AGPB rappelle avoir transmis à Annie Genevard, la ministre de l’agriculture, une liste de 34 mesures pour accompagner les agriculteurs, sans besoin de passer par la loi.
Parmi les propositions, figure la question de la protection des plantes : « on se retrouve aujourd’hui avec beaucoup d’impasses techniques : des solutions sont supprimées sans alternatives. On demande alors à l’Anses de prioriser l’évaluation des homologations de produits en fonction de ces impasses sur le terrain. Un décret peut suffire sur ce point ».
« L’Anses devrait aussi prendre en compte l’adaptation des pratiques (haies, évolution des buses, etc.), ainsi que le rapport bénéfices/risques des solutions, précise Eric Thirouin. Aujourd’hui, l’agence se concentre uniquement sur les risques. Il est indispensable d’avoir une base scientifique, reconnaît-il, mais il est important de peser aussi les bénéfices d’une solution ».
« C’est tout le paradoxe de l’accord UE-Mercosur : on pourrait importer des productions réalisées dans des conditions interdites chez nous, exemple avec les produits phytos : 78 % des produits autorisés au Brésil ne le sont pas en Europe ! ».
« Il faut savoir ce qu’on veut »
« Soit on produit, soit on importe ! Il faut savoir ce qu’on veut, car on n’arrêtera pas de manger, indique Yves Fantou, président de Culture Viande. Aujourd’hui, on importe un poulet sur deux et depuis près d’un an, un abattoir ferme chaque mois en France »,
« La montée en gamme de la production agricole hexagonale, mise en avant lors du discours d’Emmanuel Macron en 2017, est importante, mais le souci est d’avoir voulu la généraliser. Les Français ne mangent pas tous et pas tous les jours des produits labellisés. On a laissé l’entrée et le cœur de gamme à l’importation », explique Philippe Pavard, directeur de la rédaction de la France Agricole.
Dans le cas des importations, Yves Fantou rappelle les conditions demandées : « pas de produit issu de la déforestation, le respect des clauses miroirs et des contrôles au départ ».
Engageons une réflexion pour faire avancer le débat : prendre des mesures simples pour l’agriculture sans impact sur le budget de l’Etat. Il en va de notre alimentation, de notre balance commerciale, de notre souveraineté alimentaire. pic.twitter.com/urkbgfqNFy
— Oui à l'innovation ! (@Ouialinnovation) November 26, 2024
« Il faudrait aussi revoir la loi Egalim, au lieu de demander 20 % de produits bio en restauration collective, plutôt imposer 4 repas équilibrés par semaine. Mettons les moyens à ce niveau-là. C’est une mesure simple à prendre, mais peut-être moins facile politiquement ! »
« Sur la question du revenu aussi, la contractualisation est une révolution qui avance, même si la mise en place reste compliquée, estime Yves Fantou. Dans le contexte de décapitalisation, le prix de la viande augmente, mais c’est toujours la guerre des prix avec la grande distribution ».
Le président de Culture Viande maintient également « l’importance d’intégrer des protéines animales dans son alimentation et notamment des produits carnés, s’appuyant sur l’étude du Professeur Patrick Tounian. Sur la question des émissions de gaz à effet de serre de l’élevage, il regrette « qu’on ne prenne pas compte dans les méthodes d’évaluation la biodiversité et le stockage de carbone des prairies ».
Un ras-le-bol général des agriculteurs
Eric Thirouin évoque également la Politique agricole commune (Pac) et la manière dont elle se décline. « On demande aux agriculteurs de s’adapter au changement climatique mais l’évolution de leurs pratiques n’est pas forcément prise en compte. Exemple avec le développement des orges de printemps semées à l’automne avec les hivers plus doux : l’administration a décidé que le printemps démarrait au 1er janvier et les orges de printemps semées en novembre ne sont donc pas considérées comme des cultures de printemps dans le calcul des points pour la Pac. »
Le manque de souplesse de l’administration s’est répété aussi sur le sujet des épandages cette année : « c’est le Premier ministre lui-même qui a dû décaler les dates d’autorisation, suite aux conditions climatiques compliquées. Le métier d’agriculteur est tributaire du facteur météo, c’est un fait », souligne Philippe Pavard.
Concernant les productions végétales, Eric Thirouin rappelle aussi « l’espoir porté sur les NBT pour accélérer la sélection variétale ». « Des améliorations pourraient aussi voir le jour sur le plan qualitatif, comme l’Université de Wageningen qui travaille sur un blé sans gluténine, pour les personnes atteintes de la maladie cœliaque », ajoute Philippe Pavard.
« Autre sujet majeur de la production agricole : la question de l’eau et de son stockage », ajoute Philippe Pavard, faisant référence à la situation très inquiétante de sécheresse que vivent les Pyrénées-Orientales.
La complexité administrative constitue un autre point important de crispation pour les agriculteurs. Un sondage réalisé par l’AGPB auprès des céréaliers a montré que « la paperasse et les conditions réglementaires étaient placées en tête de liste de leurs préoccupations cet été, devant la moisson ou encore la question des revenus », note Eric Thirouin. Il déplore le fonctionnement de chaque administration en silo et suggère un coffre-fort numérique dédié aux exploitations agricoles, pour limiter le temps passé sur les tâches administratives.
Pour le président de l’AGPB, tout cela entraîne un ras-le-bol général des agriculteurs et des filières agricoles et détériore leur envie d’entreprendre.
Or, dans le cadre du renouvellement des générations, « il faut donner aux jeunes envie de s’installer. Être passionné par son métier, c’est une chose mais il faut aussi et surtout pouvoir en vivre », souligne avant tout Yves Fantou.
Eric Thirouin voit toutefois un signal positif avec les résultats du baromètre Ifop pour Ouest-France dévoilés le 14 novembre dernier, qui précisent que 88 % des Français soutiennent les mobilisations agricoles actuelles.