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Moisson 2024 : « Une année noire pour l’agriculture française »


TNC le 15/08/2024 à 05:00
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Et chez vous ? Quel est le bilan de cette moisson 2024 ? (© Stéphane Leitenberger)

Avec la fin des récoltes de céréales, agriculteurs et organismes de stockage dressent le bilan de la moisson. Pour beaucoup, le constat est relativement mauvais avec des résultats en berne et des prix pas à la hauteur.

Dans son dernier point moisson, la coopérative Valfrance, basée dans l’Oise et la Seine-et-Marne, relève un recul global de 25 % des volumes moyens pour les récoltes d’orge d’hiver et de blé tendre. « Cela représente à l’échelle de la coopérative un manque de 170 000 à 180 000 t sur une collecte habituellement autour de 850 000 t », indique son directeur, Laurent Vittoz : « C’est une année noire pour l’agriculture française ».

La moisson s’est terminée ce lundi chez Nicolas Gaillard, agriculteur en polyculture-élevage et entrepreneur de travaux agricoles au nord de la Dordogne. Il témoigne également « d’une petite année avec des rendements très irréguliers et décevants par endroits. La qualité est très moyenne mais pas si mauvaise si l’on compare à la récolte de 2007 pour le secteur », se souvient-il.

« En blé tendre, les PS sont souvent faibles, autour de 72-74 kg/hl (parfois en dessous de 70 kg/hl), sauf pour les blés de force atteignant 78-79 kg/hl, précise Nicolas Gaillard. Les rendements vont de 40 à 60 q/ha et en orge d’hiver, de 30 à 45 q/ha. Les PS ne sont pas très élevés, à 65-67 kg/hl. Les résultats sont très irréguliers aussi pour le triticale, entre 30 et 60 q/ha, mais les PS sont corrects. »

« Ça va être difficile »

Du côté de la Mayenne, les Jeunes Agriculteurs déplorent aussi une baisse des récoltes en céréales et en oléo-protéagineux, de l’ordre de 30 %. « Chez certains producteurs, les pertes peuvent même aller au-delà de 50 % », précisent-ils dans un communiqué. « La qualité du grain est aussi à déplorer, avec des baisses de poids spécifiques inquiétantes notamment. »

Pour une exploitation agricole moyenne du département, les JA estiment « une perte de chiffre d’affaires de 30 000 à 40 000 €. Sans parler du mauvais coup porté au moral des exploitants, d’autant lorsqu’il s’agit d’une première récolte chez un jeune installé. Les faibles rendements ne couvriront pas les coûts de production cette année ».

« Et c’est la double peine lorsqu’on se situe en zone de polyculture-élevage. Si les cours des produits issus des animaux se tiennent à des niveaux moyens, tout comme ceux des grains, des baisses de rendements en paille sont déjà palpables pour les éleveurs de ruminants. Il va falloir les compenser tant bien que mal. Cela va aussi engendrer pour les éleveurs de porcs et de volailles des achats supplémentaires de grains pour nourrir leurs animaux, grains habituellement produits sur les exploitations ! Ces effets en cascades (pertes de rendement et de qualité des cultures, manque de paille, achats supplémentaires…) vont générer des manques de trésorerie majeurs chez les polyculteurs-éleveurs ! »

Le constat est assez similaire dans l’Est de la France : « ça va être difficile », estime Laurent Vaucher, installé depuis 2010 sur une exploitation de grandes cultures en Moselle et président de la Coordination rurale du département.

Pour l’agriculteur, c’est une deuxième mauvaise année consécutive. « En 2023, la sécheresse a entraîné des pertes de rendements, surtout en blé tendre et en colza. Il m’a manqué 100 000 € l’année dernière, soit un tiers du chiffre d’affaires. Et avec l’assurance aléas climatiques, je n’ai retouché que 12 700 € », témoigne-t-il.

Cette fois, ce sont les excès d’eau et le manque d’ensoleillement qui ont affecté l’ensemble des cultures d’hiver pour la récolte 2024. Laurent Vaucher relève un recul moyen de 30 % de ses récoltes d’orges (hiver et printemps), de blé tendre et de colza par rapport à la moyenne des cinq dernières années. « En blé tendre, le rendement est d’environ 50 q/ha cette année. Les PS ne sont pas à la hauteur, autour de 70 kg/hl en blé tendre et de 60 en orge d’hiver. »

« Problèmes de densité, problèmes de salissement (vulpin) car on n’a pas pu faire les désherbages à l’automne, poste anti-limaces multiplié quasiment par 3 par rapport à une année habituelle… : il n’y a rien qui va depuis le début de l’année. Et les prix ne sont pas là. » Malgré une réduction d’un tiers des apports d’engrais cette année, Laurent Vaucher se dit très inquiet pour la suite.

Dans les Hauts-de-France, le rendement moyen en blé tendre s’élève à 74 q/ha pour Unéal, indiquait Maxime Thuillier, son directeur céréales au 8 août. « La problématique la plus importante de l’année, c’est la qualité qui a encore été dégradée par les dernières pluies. » La moyenne des PS est à 75,4 kg/hl et il fait part d’importantes disparités sur la région. « Le taux de protéines moyen est évalué pour le moment à 11,3 %, mais globalement les bons taux de protéines vont de pair avec de faibles PS, ce qui fait un blé fourrager bien protéiné, explique le spécialiste. Le savoir-faire des hommes dans l’exploitation du grain sera plus précieux que jamais cette année ».

Intercéréales souhaite « un accompagnement ambitieux »

Comme l’ont déclaré Agreste et Argus Media la semaine passée, la récolte de blé tendre 2024 s’annonce comme l’une des plus faibles de ces 40 dernières années. « Nous avons toutefois la chance d’avoir une filière céréalière très professionnelle qui saura continuer à servir ses clients en blé aussi bien en France qu’à l’international », a assuré Jean-François Loiseau, président d’Intercéréales dans un communiqué du 12 août.

« Les volumes seront moins importants mais ils seront en priorité fléchés vers les clients historiques et partenaires de la France. Cette mauvaise récolte n’aura probablement aucun impact pour les consommateurs sur le territoire et sur l’ensemble des produits issus de la transformation des céréales françaises, mais elle impactera fortement les agriculteurs et l’ensemble des acteurs de la filière ».

C’est pourquoi « notre filière souhaite un accompagnement ambitieux à la hauteur des enjeux de la part des pouvoirs publics pour garantir la pérennité et la compétitivité de la filière et une alimentation de qualité pour nos clients et consommateurs », avance Jean-François Loiseau.

Pour finir sur une note plus optimiste, Laurent Vittoz a notamment évoqué les cultures de maïs qui semblent prometteuses cette année. Chez Laurent Vaucher en Moselle, la récolte des cultures d’été paraît également plus encourageante, mais l’agriculteur reste prudent : « le soja actuellement en pleine floraison notamment a encore besoin d’eau ».

En Dorgogne, Nicolas Gaillard se dit plus inquiet : « le retour des chaleurs tant redouté et le faible enracinement dû aux mauvaises conditions climatiques et de semis ont mis à mal le potentiel de ces cultures. Affaire à suivre… »