Pesticides : l’agence sanitaire Anses s’inquiète de risques d’« influence »
AFP le 11/04/2025 à 13:45
De son directeur général à son conseil de déontologie, l'Anses s'inquiète de potentielles « contraintes » ou « risques d'influence » alors que le gouvernement veut imposer des « priorités » dans les travaux de l'agence sanitaire sur les pesticides.
Depuis 2015, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) est mandatée non seulement pour évaluer la dangerosité des pesticides, mais aussi pour autoriser ou non leur mise sur le marché.
Elle rend des centaines de décisions par an, en toute indépendance scientifique, tout en étant un établissement public sous tutelle de quatre ministères (agriculture, santé, transition écologique, travail).
Certaines de ses décisions ont été remises en cause ces dernières années par le ministère de l’agriculture, sous forte pression du premier syndicat agricole. Depuis la crise agricole de l’an dernier, la FNSEA réclame le maintien ou la réautorisation de pesticides en France, « en l’absence de solution alternative », notamment pour la betterave, les endives ou les noisettes.
Un comité d’orientation
L’ancien ministre de l’agriculture Marc Fesneau (Modem) avait affirmé en 2023 qu’il « n’abandonnerait pas des décisions stratégiques » pour la souveraineté alimentaire « à la seule appréciation d’une agence ». Une charge dénoncée comme une attaque « contre l’indépendance de l’agence », par la gauche, les écologistes et jusque dans les rangs des macronistes.
L’actuelle ministre de l’agriculture, Annie Genevard (LR), est allée plus loin. Jugeant « nécessaire de prioriser les travaux » de l’Anses, elle a proposé de créer un « comité d’orientation pour la protection des cultures », par décret, lors de débats sur la proposition de loi (PPL) visant à lever les contraintes au métier d’agriculteur portée par le sénateur LR Laurent Duplomb.
Cette PPL, adoptée au Sénat le 27 janvier, est attendue fin mai à l’Assemblée. L’article 2 de cette PPL précise que ce « conseil d’orientation » avise le ministre de l’agriculture « des usages [de produits phytosanitaires : pesticides, engrais…] qu’il considère prioritaires ». C’est à partir de cet avis que le ministre fixe « la liste des usages prioritaires », laquelle devra être respectée par l’Anses.
« Menace » sur « l’indépendance »
Lors de son audition à l’assemblée le 25 mars, le directeur général de l’Agence, Benoît Vallet, a expliqué aux élus que l’adoption de cette proposition de loi, en l’état, entraînerait sa démission. Ce texte conduirait à « essayer de contraindre les décisions » de l’agence et « change mon contrat », a-t-il estimé. Il n’y aurait dès lors pour lui « plus de possibilité de rester directeur général de l’agence ».
Dans un avis publié jeudi, le comité de déontologie de l’Anses s’inquiète de la création de ce « comité d’orientation » – qui pourrait réunir des représentants des filières agricoles, des syndicats ou des industriels, aux côtés de scientifiques.
Il estime que l’agence sanitaire ne doit participer à un tel comité qu’à plusieurs conditions. Il recommande en particulier que soit affirmé le « caractère consultatif de ce comité » d’orientation, exige une « déclaration des liens d’intérêts » pour chaque participant, la « publication du verbatim complet des séances » et « l’absence d’influence ou de pression à l’égard de l’Anses », selon un avis rendu fin mars et publié jeudi sur le site de l’établissement public.
L’Anses est autonome dans ses décisions
« Rappelons qu’en ce qui concerne certaines substances réglementées, en particulier les produits phytosanitaires, l’Anses est autonome dans ses décisions et qu’un ministère de tutelle ne peut pas intervenir dans celles-ci, sauf en émettant des dérogations », souligne l’avis.
« Considérer prioritairement la rentabilité économique et ignorer les risques sanitaires ou environnementaux a conduit dans le passé à des situations graves comme en attestent le scandale de l’amiante ou l’usage du pesticide chlordécone dans les Antilles pour les cultures bananières », rappelle le comité de déontologie.
La Conférence nationale de santé (CNS, organisme consultatif auprès du ministère de la Santé) estime même que l’article 2 de la PPL Duplomb « remet en cause » le principe de « séparation rigoureuse entre l’évaluation et la gestion du risque », et en conséquence, « menace l’indépendance de l’évaluation scientifique », dans un récent communiqué.