Pionnier du vin sans alcool, un viticulteur allemand porté par la vague
AFP le 27/11/2024 à 12:05
La mode des vins sans alcool n'a pas pris de court le domaine Carl Jung : cette famille de viticulteurs allemands en produit depuis plus d'un siècle et surfe sur la soif de sobriété des jeunes générations.
« Nous ne sommes pas des débutants », sourit Bernhard Jung en faisant visiter ses installations dans le château de Boosenburg, posé au milieu des vignes de la vallée du Rhin.
La formule est un euphémisme : son grand-père Carl Jung est reconnu comme un pionnier pour le procédé permettant d’extraire l’alcool du vin qu’il a mis au point en 1907, désormais largement utilisé par les professionnels. Son but de l’époque : pouvoir offrir une solution alternative à un client obligé de renoncer à l’alcool pour raison de santé.
Le domaine familial est rapidement devenu une référence, trouvant des débouchés aux Etats-Unis à l’époque de la Prohibition (1920-1933), et dans de nombreux pays musulmans.
Il a même abandonné la production de vin traditionnel dans les années 1990 pour se concentrer sur les nectars désalcoolisés.
Niche
Vins et spiritueux sans alcool ont aujourd’hui la cote, notamment chez les jeunes. Même si le marché reste une niche, les marques se développent ; les châteaux et coopératives les plus traditionnels se lancent à la conquête d’une clientèle soucieuse de modération.
« Nous avons constaté une très forte évolution ces dernières années avec un taux de croissance de 35 % par an pour notre entreprise », dit Bernahrd Jung qui exporte 80 % des 17 millions de bouteilles produites chaque année.
Au point que l’entreprise a pour clients d’autres producteurs : environ deux tiers du vin est transformé pour le compte de marques qui souhaitent ajouter des millésimes sans alcool à leur offre.
Et la tendance devrait se poursuivre, selon le fournisseur et analyste de données sur l’alcool IWSR, qui voit les Etats-Unis tirer les ventes de boissons sans alcool – avec une croissance attendue de 11 % par an jusqu’en 2028 – ainsi que des augmentations substantielles en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France.
Aujourd’hui à 0,5 % du volume de production mondial de vin, le « No-Low » pourrait arriver à 4-5 %, estime l’Organisation internationale du vin (OIV).
Les mouvements « Dry January », « Shake up your October » et autres « Journée sans gueule de bois » illustrent la tendance.
Moët Hennessy, la division vins et spiritueux du géant du luxe LVMH, a récemment investi pour la première fois dans une marque de vins effervescents sans alcool.
Au château de Boosenburg, dans la pittoresque ville de Rüdesheim (sud-ouest), des camions-citernes livrent régulièrement du vin des vignes du sud de l’Allemagne, et d’autres pays européens.
Dans une grande salle, deux machines reliées à des tuyaux travaillent jour et nuit le liquide qui y circule.
Arôme « récupéré »
On y pratique la technique de l’évaporation sous vide mise au point par Carl Jung, dans une cave aux cuves rutilantes et aux technologies dernier cri.
Le vin est chauffé progressivement, à une température inférieure à 30 degrés, pour que seul l’alcool s’évapore, mais pas les saveurs.
Le nectar subit toutefois un processus de « récupération d’arôme » visant à restaurer une partie du caractère perdu.
« Nous commençons par extraire du vin les substances aromatiques, les substances du bouquet, c’est-à-dire le parfum du vin. Et c’est ce que nous restituons ensuite au vin désalcoolisé », explique Bernhard Jung.
Les vins sans alcool ont pu avoir mauvaise réputation en termes de goût. Mais leur qualité s’est améliorée ces dernières années, assure-t-il, notamment grâce à un meilleur « savoir-faire ».
Dans un bar-restaurant de Francfort, Die Brücke, la patronne Sandra Beimfohr témoigne d’une demande en croissance rapide « ces deux ou trois dernières années », alors qu’au début de la décennie, « les clients hésitaient encore ». A sa carte, du riesling et du pinot noir « alkoholfrei ».
Bärbel Buchwald, une cliente âgé de 67 ans, « trouve que c’est une bonne idée que ça existe » … mais n’a « malheureusement pas aimé du tout » le breuvage testé ce soir-là. « Trop sucré » et « très artificiel », selon elle, « il n’avait pas vraiment le goût du vin… mais plutôt d’un détergent ».