Quel avenir pour les différents modèles économiques de la méthanisation ?
TNC le 29/12/2021 à 15:12
Le secteur de la méthanisation se caractérise par une grande diversité des types d’unités qui ont vu le jour à des périodes différentes et répondent à des enjeux divers. Entre aspirations sociétales, diversification agricole, production d’énergie verte, elles ne répondent pas toutes aux mêmes besoins. Alexandre Berthe, économiste et enseignant-chercheur à l’université de Rennes 2, revient sur ces enjeux et sur les évolutions possibles des modèles économiques.
Dans le secteur des énergies renouvelables, la méthanisation présente des spécificités qui la rendent plus complexe à promouvoir, en lien avec la grande diversité de ses modèles, son insertion dans différentes filières (gestion des déchets, énergie verte, agriculture) et aux inquiétudes plus ou moins justifiées que le système engendre auprès des riverains (odeurs, risque d’explosion…).
« Une grande diversité »
La grande diversité des modèles est l’une des principales caractéristiques de la méthanisation, explique Alexandre Berthe, économiste et enseignant-chercheur à l’université de Rennes 2. « Le plus classique, pendant des années, a été le modèle de la méthanisation à la ferme, avec un éleveur qui utilisait ses effluents d’élevage dans le méthaniseur pour produire de l’électricité et de la chaleur, et obtenir un digestat à épandre sur les sols comme il le faisait avant avec les effluents. C’est une étape supplémentaire dans la production, pour obtenir de l’électricité qu’il peut revendre ensuite à EDF. S’est développé autour de ça, ensuite, toute une logique par l’injection », à savoir la production de gaz pour l’injecter en biométhane dans les réseaux, plutôt avec des céréaliers, et des collectifs d’agriculteurs, explique l’économiste.
Des modèles qui répondent à différents enjeux
Alexandre Berthe distingue ainsi plusieurs modèles, qui répondent à des objectifs différents. Au début des années 2010, le modèle dominant a pour objectif d’internaliser l’activité, avec peu de main-d’œuvre salariée, une participation de l’agriculteur à la construction de l’unité, de la maintenance… Ce modèle s’inscrit dans « des logiques de résilience de l’exploitation et d’autonomie », explique le chercheur.
Ce modèle de petite unité de méthanisation à la ferme a également été proposé « clé en main » à certains agriculteurs, comme un atelier supplémentaire, mais avec une rentabilité moindre : ce sont des installations où les agriculteurs n’avaient pas les connaissances pour intervenir lors de la construction, ou effectuer des réparations simples, or cette filière est très dépendante de l’Allemagne et les techniciens doivent parfois faire le déplacement depuis ce pays, ce qui engendre des délais importants et des temps d’arrêt longs.
Ont également émergé, à la fin des années 2010, des petits collectifs d’agriculteurs poussés par une logique de résilience, et qui ont mis en place de nouveaux modes d’organisation du travail. Le passage à la méthanisation a pu entraîner un changement dans les pratiques agricoles, par exemple en développant le bio grâce à la trésorerie dégagée par la méthanisation, ou en facilitant la spécialisation comme l’arrêt d’un atelier lait pour se consacrer à la viande ou inversement.
Enfin, certains agriculteurs se sont également lancés avec la volonté de devenir énergiculteur, en misant sur la technologie, un modèle qui s’est beaucoup développé en Allemagne. L’activité a connu une forte expansion ces dernières années mais le changement de tarifs en 2020 a marqué un coup d’arrêt.
Retrouvez l’intervention d’Alexandre Berthe au Space 2021 lors d’une conférence organisée par l’Inrae :
Quelles conséquences du changement de tarif ?
« On a été longtemps très en retard par rapport à l’Allemagne, à l’Italie, mais aujourd’hui avec les aides, on a eu un grand développement et on est au-delà des objectifs fixés par l’État. Il va falloir laisser la filière évoluer seule », explique Alexandre Berthe. « Il y a eu plusieurs changements de tarifs, le dernier en novembre 2020, et au cours du temps, cela modifie les unités les plus favorisées », poursuit le chercheur. La baisse des tarifs oblige à être plus rentable pour survivre. Sans élevage, la méthanisation reste possible aujourd’hui dans les unités industrielles ou les très grosses installations qui parviennent à réaliser des économies d’échelle, « mais globalement, pour la filière aidée, c’est un retour aux effluents d’élevage », explique-t-il.
Les agriculteurs vont-ils pouvoir garder la main sur les projets ?
Dans ce contexte, est-ce que les agriculteurs vont pouvoir garder la main ? « Cela va dépendre des projets. Dans les plus simples, certainement que oui, estime Alexandre Berthe. Le plus low cost est très simple : il suffit de couvrir la fosse à lisier, de récupérer le méthane et le brûler sur la ferme, et on a du méthane pour les bâtiments. La rentabilité peut s’obtenir assez vite et peut aller vers élevage qui serait plus viable, d’autant que si on brûle les émissions, elles ne vont pas dans l’atmosphère, donc c’est un élevage plus vertueux », ajoute-t-il.
« En revanche sur les très gros projets, il faut au moins une coopérative associée mais aussi des investisseurs classiques du secteur de l’énergie », précise le chercheur. Sans compter que les grosses unités se heurtent également à des freins sociétaux, comme les nuisances engendrées par la circulation de camions, les odeurs, et une acceptabilité plus difficile en raison du risque apparent de concurrence entre la méthanisation et l’alimentation humaine et animale, ainsi qu’une image d’agriculture industrielle véhiculée par ces grosses unités.
Plusieurs questions restent ainsi en suspens : est-ce que ce sont les unités avec les plus grands bénéfices environnementaux qui vont perdurer ? Celles qui présentent la meilleure rentabilité économique ? La politique publique fait aujourd’hui face à un défi stratégique pour favoriser les plus vertueuses, mais aussi les plus bénéfiques aux agriculteurs.