Quel sera l’impact du coronavirus sur le commerce des produits agricoles ?
TNC le 03/02/2020 à 06:10
Depuis plusieurs semaines, le monde a les yeux rivés sur la Chine et son coronavirus. L’inquiétude monte chez les opérateurs des marchés et les cours plongent dans le rouge. Mais comment un virus arrive à impacter à ce point le commerce mondial de produits agricoles ?
La Chine a un poids conséquent dans les échanges mondiaux de produits agricoles et tout bouleversement pourrait impacter les marchés. Et c’est ce qui se passe actuellement avec le coronavirus.
Le développement du coronavirus en Chine risque de baisser le niveau de la demande chinoise, ce qui va conduire à un ralentissement de ses imports de biens agricoles au cours des prochains mois, déjà compromis face à la fièvre porcine qui ravage les cheptels porcins à travers le pays et limite ses besoins en soja. D’autant plus que l’épidémie pourrait bien durer au moins plusieurs mois, selon des experts cités par nos confrères de Ouest France.
« La propagation du coronavirus inquiète fortement les opérateurs de l’ensemble des matières premières », affirmait Agritel ce mardi dans un communiqué. « Le risque d’un ralentissement de la croissance mondiale et la limitation des échanges a engendré une baisse des différentes bourses et du pétrole cette semaine ».
Benjamin Bodart, directeur de CRM AgriCommodities, est du même avis : « cette crise sanitaire majeure jette un froid sur les marchés. La crise politique est proche et les opérateurs s’inquiètent maintenant de la santé économique de l’ogre asiatique ». L’expert affirme par ailleurs que « les spéculateurs, euphoriques au lendemain des fêtes dans un contexte de tension des stocks chez les principaux exportateurs mondiaux de blé, continuaient d’acheter à tour de bras le matif. Ainsi, au 24 janvier 2020, ces derniers détenaient une position nette acheteuse record de plus de 88 000 lots sur le blé. Patatrac, le coronavirus vient de saper le moral des troupes, à un moment de la campagne où historiquement les prix baissent avant le weather market printanier ». « En regardant les exports UE, les prix fermes sur la mer Noire et la rétention des agriculteurs, sans coronavirus et avec un coup de froid tardif sur la Russie », la barre des 200 €/t aurait pu être atteinte, selon le spécialiste. Alors que les cours étaient bien orientés, « finalement, le coronavirus aura eu – pour l’heure – raison des 200 €/t sur le blé Euronext », déplore Benjamin Bodart.
La Chine, grand importateur de produits agrioles
Durant la campagne 2018/19, la Chine a produit 398 Mt de céréales ce qui représente près de 20 % de la production mondiale (riz exclu, chiffres CIC). Souvent associé par les Occidentaux à une civilisation du riz, l’empire du Milieu est pourtant également un producteur historique de blé et de maïs. En 2018, le pays a réalisé 18 % de la production mondiale, ce qui en fait le second plus grand producteur, derrière l’Union européenne. Quant à la production chinoise de maïs, elle s’est élevée à 257,3 Mt, soit 23 % de la production mondiale, ce qui place le pays en seconde position, derrière les États-Unis (Chiffres USDA).
Mais bien que certains pays produisent beaucoup, ils ne constituent pas nécessairement les plus gros exportateurs. C’est le cas de la Chine, qui malgré sa position de leader en production de céréales, n’apparaît pas dans les principaux pays exportateurs mais se classe parmi les pays importateurs.
Comment nourrir 1,42 milliard d’habitants ?
La Chine est le pays le plus peuplé du monde : avec ses 1,42 milliard d’habitants en 2019 (chiffres UNFPA) elle concentre près de 20 % de la population mondiale (7,715 milliards en 2019). Pourtant, pour une superficie de 9,6 millions de km² (17,5 fois la taille de la France), le pays ne compte que 119,2 millions d’hectares de surface arable, soit 0,08 hectare de terre arable par habitant. C’est très peu, sachant qu’à l’échelle mondiale, on en compte 0,19 par personne, et 0,28 hectare de terre arable par personne en France. Par ailleurs, les ressources en eau de la Chine sont inégalement réparties entre les régions, et ne représentent que 6,5 % du total disponible de la planète, d’après le ministère de l’agriculture.
En 2018, l’agriculture représentait 7,2 % du PIB chinois et pourtant, c’est maintenant devenu un grand importateur de produits agroalimentaires, et notamment de produits agricoles de base. Depuis 2004, les importations de produits agricoles du pays ont dépassé ses exportations, et la Chine est devenue importatrice nette. « La balance agro-alimentaire chinoise a été déficitaire de 41 Md€ en 2018 (son 1er poste de déficit, alors que la balance commerciale totale est excédentaire) », note le ministère.
« Ils sont en insuffisance alimentaire et plus leurs jeunes générations vont consommer, moins ils auront de capacité de produire. Ils n’auront plus assez de terres agricoles », expliquait Denis Deschamps, expert géopolitique – géoéconomie chez Ante Certamen, lors d’une conférence sur la géopolitique qui s’est tenue à Unilasalle Beauvais. Les Chinois s’enrichissent, et le PIB par habitant progresse fortement. Or, « avec le phénomène de richesse, on consomme plus de calories et aussi plus de calories d’origine animale », ce qui ne fera qu’accroître le demande en produits agricoles de base (que ce soit pour l’alimentation humaine ou animale, qui servira ensuite à la production de viande).
Pour répondre à la demande intérieure, la Chine n’a que deux solutions : accroître sa production agricole ou avoir recours aux importations.
La Chine est dépendante de l’extérieur pour son alimentation
En 2018/19, la Chine a ainsi importé 3,2 Mt de blé (18e position parmi les plus gros importateurs de blé dans le monde), 4,5 Mt de maïs (11e). Mais surtout, l’empire du Milieu est le premier importateur mondial de soja, qui constitue le produit agricole le plus importé par le pays. Il sert principalement à la fabrication d’huile et pour l’alimentation du bétail. 82,5 Mt ont été importées en 2018/19, principalement des États-Unis et du Brésil. Les importations avaient baissé cette année-là, comparé à 2017/18, à cause de la guerre commerciale qui oppose les deux plus grandes puissances mondiales. Mais les deux pays ont pris le chemin de la résolution du conflit, en signant notamment un accord de « phase 1 » le 15 janvier, censé stimuler les achats chinois de produits agricoles américains. Mais les effets tardent à se faire sentir.
Toutefois, les importations en croissance ces dernières années créent une dépendance alimentaire de plus en plus forte de la Chine vis-à-vis des autres pays. L’empire du Milieu a ainsi développé une autre stratégie depuis plusieurs années : le rachat de terres à l’étranger pour étendre son outil de production.
La Chine investit pour répondre aux besoins de demain
Pour nourrir sa population, en plus de moderniser son agriculture, la Chine est ainsi en train « d’investir massivement depuis plusieurs années dans des infrastructures et d’acheter des terres agricoles partout dans le monde, afin de pouvoir répondre aux besoins de la génération de demain ». Que ce soit en Inde, à l’Île Maurice, en Asie du Sud-Est, en Amérique latine, ou encore en Afrique. « Ils ne négligent rien, chaque fois qu’il y a des terres agricoles à acheter, ils les achètent. Ils sont en train de sécuriser leurs approvisionnements pour dans 20, 30 ou 50 ans », explique l’expert en géopolitique.
« En Afrique par exemple, il y a certains pays qui ont des terres agricoles cultivables disponibles mais qui ne les exploitent pas, parce qu’ils n’ont pas l’expérience, n’ont pas le savoir, n’ont pas les filières ». L’expert cite le cas du Gabon : « ils ont 700 000 ha cultivables, mais ils n’ont pas de main d’œuvre qualifiée ou fidèle, aucune filière, aucun matériel, pas de mécanicien ni de pièces détachées. Organiser tout ça, ça prend du temps. Ils ont donc des terres cultivables qui vont probablement entrer en production, et si ce n’est pas les Européens qui y vont les premiers, ce sera les Chinois.
La France est également dans le viseur de l’Empire du milieu, bien que la Chine y ait connu quelques déboires, à la suite d’investissements infructueux.
Quoiqu’il en soit, « on ne dépend plus d’un marché local, mais de ce qui se passe au niveau de la filière. Les produits agroalimentaires et agricoles peuvent être utilisés comme des armes diplomatiques. Il y a tout un jeu qu’il faut comprendre », a expliqué Denis Deschamps.
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