Quels impacts de la guerre en Ukraine sur l’agriculture et les marchés ?
TNC le 28/02/2022 à 15:02
Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’agriculture fait partie des secteurs qui vont connaître le plus de perturbations, compte tenu du poids important de ces deux pays dans l’exportation de céréales, mais aussi du rôle de la Russie dans le commerce d’engrais et la production d’énergie. Quelles seront les conséquences à court et à moyen terme sur les marchés agricoles ?
La guerre déclarée par la Russie à l’Ukraine la semaine dernière aura des répercussions importantes sur le secteur agricole et créé d’ores et déjà des tensions sur l’offre et la demande en blé, maïs, orge et huile de tournesol, les deux pays faisant partie des principaux exportateurs mondiaux. « Par ricochet, ces évolutions sur les disponibilités mondiales en matières premières agricoles pourraient avoir des impacts significatifs sur la sécurité alimentaire de plusieurs pays », a expliqué le 28 février Marc Zribi, chef de l’unité Grains et sucres de FranceAgriMer, lors d’une conférence de presse au salon de l’agriculture.
Comme lors des pics les plus tendus de la crise sanitaire, les pays structurellement importateurs marquent un retour à des politiques de sécurisation de leurs approvisionnements, mais tous n’en ont pas la capacité. La Tunisie, le Liban et les pays d’Afrique Sub-saharienne sont plus vulnérables, très dépendants aux importations en provenance d’Ukraine, et leurs stocks de fin de campagne prévisionnels sont plutôt faibles. La vulnérabilité de la région du Maghreb et du Moyen-Orient, déjà touchée par la sécheresse, est également accentuée par la crise.
Hausse des prix et fortes tensions sur les marchés des grains et oléagineux
La Russie et l’Ukraine représentent 30 % des exportations mondiales de blé et d’orge, l’Ukraine est également le 4eme exportateur mondial de maïs, le 5ème en blé, le 3eme en orge, et détient des positions dominantes sur le marché mondial en tournesol, c’est-à-dire en huile mais également en tourteaux, particulièrement appréciés en alimentation animale, rappelle Marc Zribi.
Avant le conflit, le reste à exporter côté ukrainien était d’environ 6 Mt de blé, dont la moitié de blé meunier. Il restait davantage à exporter en maïs, à savoir 18 Mt. En Russie, sur les 32 Mt prévues pour la campagne, 12 Mt de blé restent à exporter, 3 Mt de maïs et 1 Mt d’orge. « Les acheteurs devront se rabattre sur d’autres origines, et ils pourraient en résulter des tensions importantes sur les marchés des grains et oléagineux », ajoute Marc Zribi. Des niveaux records ont d’ailleurs été atteints en séance, le 24 février, après le déclenchement du conflit.
Un choc sur le marché des engrais
La Russie représente 13 % du commerce des produits intermédiaires d’engrais et 16 % des échanges d’engrais finis. Les effets du conflit seront limités concernant l’ammoniac, la Russie ne représentant que 2,3 % de la production, mais ils seront plus importants concernant le nitrate d’ammonium : la Russie représente 40 % des exports mondiaux, essentiellement vers l’Amérique latine et notamment le Brésil, un gros producteur mondial de céréales.
Du côté des engrais potassiques, la Russie et le Bélarus fournissent 20 % du commerce mondial, le Brésil étant là encore, et de loin, le premier acheteur. Or, une rupture des volumes fournis ne pourrait pas être compensée par les autres fournisseurs que sont le Canada, l’Allemagne, Israël et la Jordanie. « On a une situation de risque qui va impacter les coûts de production des matières premières agricoles végétales », souligne Marc Zribi, qui ajoute que des impacts sont à attendre sur les semis de printemps et les intentions de semis. Les engrais azotés sont en effet nécessaires pour la production de céréales, tandis que la canne à sucre et les betteraves sucrières ont besoin d’engrais potassiques.
Hausse des prix de l’énergie, premier impact pour la France
Le conflit fait également flamber les prix de l’énergie et du pétrole, ce qui aura des conséquences sur le coût du transport. De même, la hausse des cours du gaz naturel aura un impact sur les coûts de production, notamment les coûts de séchage, de fabrication des engrais azotés, et les coûts en énergie des usines de transformation (sucreries, amidonneries…), précise Marc Zribi. Ce sera, en France, l’une des principales conséquences de la guerre, mais se posera également la question du coût et de la disponibilité des matières premières utilisées. « Nos filières animales sont extrêmement en risque par rapport au tournesol, notamment en volaille et en porc », indique Jean-François Loiseau, président de la commission thématique Interfilières International de FranceAgriMer.
Pour ce dernier, les évènements actuels « nous conduisent à dire qu’il est temps d’armer et de réarmer la France agricole et agroalimentaire, et d’armer et de réarmer l’Europe agricole ». « Il faut absolument que l’agriculture et l’agroalimentaire, secteurs stratégiques, reviennent au premier plan », ajoute-t-il, invitant à mettre de côté la stratégie Farm to Fork. « Oui, il faut de la transition, une production de moins en moins fossile, mais il faut une production forte et bâtir une ambition de performance à l’international », insiste Jean-François Loiseau, pour qui la situation doit inciter l’Union européenne à se poser la question de sa souveraineté.