Quels leviers pour l’amélioration du revenu agricole ?
TNC le 18/12/2024 à 12:25
Le revenu trop faible des agriculteurs a été mis en avant comme l’une des sources de la colère agricole qui s’est exprimée à plusieurs reprises depuis l’automne 2023. Pourtant, sur la période 2010-2022, les revenus des exploitations sont globalement en augmentation. En revanche, ils sont soumis à une forte volatilité interannuelle, et à une grande dispersion liée à trois facteurs principaux, analyse Vincent Chatellier, économiste à l’Inrae.
D’après les données du RICA français, à l’échelle nationale et toutes Otex confondues, la production de l’exercice d’une exploitation agricole s’est élevée, en moyenne annuelle sur la période 2010-2022, à 225 300 euros, soit 110 300 euros par unité de travail agricole. L’EBE était, sur cette même période, de 86 400 euros par exploitation, soit 61 200 euros par unité de travail agricole non salariée (UTANS).
De son côté, le résultat courant avant impôt (RCAI) moyen s’est quant à lui élevé à 48 200 euros par exploitation et 34 100 euros par UTANS. Néanmoins, « ces valeurs moyennes ont non seulement été sensibles à des effets de conjoncture, mais aussi elles cachent une grande dispersion », précise Vincent Chatellier, dans son article « Le revenu agricole des agriculteurs et des éleveurs en France : une forte variabilité interannuelle (2010-2022) et de grandes disparités », paru dans le 37ème numéro de la revue Inrae Productions animales.
Des écarts importants entre années et exploitations
Ainsi, la moyenne de l’année 2016 – la moins bonne de la période – chute à 21 300 € de RCAI par UTANS, en lien avec une très mauvaise récolte céréalière (- 35 % par rapport à la moyenne quinquennale), et un faible niveau de prix internationaux.
À l’inverse, 2022 s’avère la meilleure année de la période avec une moyenne de 55 800 €, qui s’explique par la forte augmentation des prix internationaux des denrées agricoles, dans un contexte de déclenchement de la guerre en Ukraine. Cette situation générale masque des écarts importants. Ainsi, en 2022, le RCAI par UTANS a été inférieur à – 400 € pour 10 % des exploitations agricoles françaises alors que, dans le même temps, il a dépassé 129 600 euros pour 10 % d’entre elles, indique l’économiste. Cette dispersion est d’autant plus forte que la conjoncture de prix est bonne. En 2016, cette fourchette s’étend de – 16 000 € à 74 500 €.
Quelles sont les facteurs d’une telle dispersion ?
La conjoncture n’est donc pas la seule responsable des mauvais résultats des exploitations. Si l’on met de côté les orientations de production (Otex), trois facteurs influencent le revenu d’une exploitation agricole, analyse Vincent Chatellier. Il s’appuie sur une grille typologique issue du projet de recherche Agr’income, permettant de rendre compte de la diversité des niveaux de revenus entre agriculteurs français. Les 64 cases de la classification sont générées par le croisement de trois indicateurs économiques :
– la productivité du travail (rapport entre la valeur cumulée de la production agricole et des subventions d’exploitation, et la main-d’œuvre totale d’une exploitation),
– l’efficience productive (rapport entre la valeur cumulée de la production agricole et des subventions d’exploitation, et le montant des consommations intermédiaires,
– la capacité d’une exploitation à faire face à la dette.
On constate, dans un premier temps, que la productivité du travail a un lien fort avec le niveau de revenu des agriculteurs. De même, l’efficience joue un rôle important dans la disparité des revenus : « les 66 570 exploitations ayant une efficience productive inférieure à 1,60 dégagent, en moyenne, un RCAI par UTANS de seulement 11 500 euros alors qu’il culmine à 67 500 euros pour les 99 800 exploitations de la classe supérieure au seuil de 2,20 », indique Vincent Chatellier.
De la même manière, le troisième indicateur confirme des écarts importants entre les exploitations selon la bonne adéquation, ou non, entre leurs performances économiques et leur niveau d’endettement.
Le croisement entre ces trois indicateurs permet d’affiner encore l’analyse de la dispersion des revenus agricoles. « Ainsi, par exemple, et de façon peu surprenante, le niveau le plus élevé de RCAI par UTANS (160 700 €) parmi les 64 cases typologiques est obtenu par les 15 170 exploitations qui parviennent à se positionner dans la classe 4 pour chacun des trois indicateurs. Ces exploitations, qui représentent environ 5 % des effectifs totaux, sont, tout à la fois, très productives à l’unité de main-d’œuvre, très efficaces dans l’utilisation des consommations intermédiaires et faiblement contraintes par leur endettement. À l’opposé, et de façon non surprenante non plus, le niveau de RCAI par UTANS le plus faible (- 25 100 euros) est obtenu dans la case typologique extrême, à savoir celle qui regroupe des exploitations agricoles répertoriées dans la première classe de chacun des trois indicateurs », constate l’économiste.
Il est également intéressant de noter que les exploitations lourdement contraintes par la dette ne sont pas forcément condamnées à de bas revenus, si elles se classent bien sur les deux autres indicateurs, un facteur d’encouragement pour les jeunes agriculteurs, estime Vincent Chatellier.
Si cette grille typologique permet de mieux visualiser la diversité des revenus agricoles, « elle peut aussi servir de support à une réflexion stratégique. Partant de celle-ci, un agriculteur peut, par exemple, s’interroger sur son propre positionnement et sur ses ambitions (ou non) de progrès à moyen et long terme pour chacun des trois indicateurs », suggère l’économiste.