Quels scénarios alimentaires en cas de nouvelle pandémie ?
TNC le 25/02/2021 à 06:02
Si les systèmes alimentaires mondiaux ont globalement résisté à la pandémie de Covid-19, les confinements et les ruptures de chaînes logistiques ont mis à jour un certain nombre de failles. Comment ces systèmes, qui évoluent avec la crise, pourraient-ils réagir face à une nouvelle pandémie dans les prochaines années ?
« Il est hautement probable que la résilience des systèmes alimentaires sera régulièrement testée au cours des prochaines années », écrivent Sébastien Abis, Matthieu Brun et Aymeric Le Lay dans l’édition 2021 du Déméter (« Covid-24 : quels scénarios pour des mondes agricoles et alimentaires immunisés ? »). Afin de mieux s’y préparer, les auteurs étudient les fragilités et les évolutions observées en 2020, notamment lors des confinements et restrictions liés au Covid-19, pour se projeter dans l’hypothèse d’une nouvelle pandémie en 2024.
Comment les systèmes alimentaires réagiraient-ils si le virus, devenu résistant à tous les vaccins, se propageait à l’occasion des JO de 2024 à Paris ? De ce point de départ, les chercheurs envisagent trois scénarios qui interrogent les points de rupture et les variables clés pour le futur. Entre échanges et coopération, souveraineté et indépendance, flux d’information et digitalisation des modes de vie, force et vitesse des transitions, conflits d’approvisionnement, on observe aujourd’hui plusieurs tendances, plus ou moins fortes, et qui prendront plus ou moins de poids dans le cadre d’une nouvelle crise sanitaire mondiale.
Scénario 1 : une nouvelle instance mondiale, pour « un chemin multilatéral de survie et d’espérance »
Le premier scénario, qui est le plus optimiste, part du principe que la crise a relégitimé, auprès des populations, le besoin de coopération et de multilatéralisme. L’élection de Joe Biden aux États-Unis permet de meilleures relations avec la Chine, entraînant une reconfiguration des alliances onusiennes, scientifiques et économiques mondiales « pour les intégrer à une mondialisation harmonisées », écrivent les auteurs. Parallèlement, la dégradation rapide de la situation alimentaire mondiale en 2020 a convaincu bon nombre de pays à adhérer au système d’information sur les marchés agricoles (AMIS).
Une nouvelle institution mondiale voit le jour, KUS, disposant de capacités proches de celles de l’agence internationale de l’énergie atomique, en matière d’inspection, d’accès aux informations sensibles et de coordination de la recherche. Cette instance est ainsi en charge du développement, du conseil et du contrôle des stocks alimentaires et de la stabilisation des prix des marchés.
Grâce à KUS, l’insécurité alimentaire à l’annonce de la nouvelle pandémie reste maîtrisée : le monde compte davantage d’infrastructures de stockage mises en place après 2020 dans les pays producteurs et importateurs nets, mais aussi dans les zones neutres où elles sont gérées et financées par la nouvelle institution. Le multilatéralisme s’avère efficace : les informations circulent rapidement sur les remplissages des stocks internationaux, ce qui permet de mettre en place les solidarités, parfois entre populations d’un même pays.
Parallèlement, la proximité de KUS, de ONE-H (promouvant une seule santé globale) et les entreprises privées a permis de développer des mécanismes incitatifs ou compensatoires pour les filières. Les chaînes logistiques sont ainsi moins perturbées qu’en 2020. Pour les auteurs, le multilatéralisme est un espoir qui reste fragile, mais qui serait « en mesure d’organiser durablement les relations internationales autour des biens communs que sont le climat, l’alimentation, la santé »…
Scénario 2 : impasses géopolitiques et inégalités au sein des territoires
Le deuxième scénario explore l’exacerbation des inégalités territoriales amorcées par le Covid-19 : d’un côté, les mégalopoles valorisent leur internationalisation, de l’autre des territoires qui construisent leur émancipation alimentaire, dans un climat d’opposition. Les villes mondes se retrouvent dans l’incapacité d’accéder aux produits correspondant à leurs nombreuses attentes, tandis que la diversité des productions locales augmente dans les bassins alimentaires, qui passent des accords d’échanges entre eux, en réaction au mépris des mégalopoles.
Certaines très grandes villes choisissent alors, sur le modèle de Singapour, d’investir dans le foncier à l’international, notamment en augmentant les impôts et taxes, ce qui génère une contestation croissante de la part de leur population. Lorsque la nouvelle pandémie survient, les grandes aires urbaines peinent à assurer la diversité alimentaire, et les territoires intégrés dans des démarches d’émancipation se replient sur eux-mêmes, en situation d’autarcie mais avec une diversité alimentaire plus restreinte. Enfin, d’autres territoires, isolés, vivent de l’agriculture de subsistance.
Scénario 3 : « un monde du chacun pour soi et du chacun chez soi »
Enfin, le troisième scénario est celui de l’accentuation de la recherche d’indépendance et de souveraineté, avec un durcissement des mesures protectionnistes adoptées en 2020. La Chine bénéficie d’un poids croissant dans les échanges mondiaux et bloque le fonctionnement des institutions onusiennes en charge du développement agricole.
Dans ce contexte, la nouvelle pandémie entraîne la fermeture des frontières en Afrique subsaharienne, face au risque de pénurie, tandis que les disponibilités sont rationnées en Europe suite à l’effondrement du commerce mondial. La compétition fait rage sur les ressources naturelles, eau et foncier en premier lieu. Si les Européens bénéficient encore de stocks de céréales, ils se retrouvent face à un dilemme : doivent-ils modifier leur comportement alimentaire au nom de la solidarité avec l’Afrique subsaharienne, ou conserver leurs habitudes au risque de fragiliser durablement cette partie du monde ?
Le problème n’est pas tant la connexion de tous que l’absence de coopération ou de solidarité quand les systèmes sont mis à l’épreuve
Si ces trois scénarios restent des projections schématiques, on entrevoit le risque du renforcement à l’extrême de certaines tendances. Ainsi, « le problème n’est pas tant la connexion de tous que l’absence de coopération ou de solidarité quand les systèmes sont mis à l’épreuve », estiment les trois auteurs. Et si les interdépendances, mises en lumière par la pandémie de Covid-19, sont porteuses de risque, elles recèlent également une part de la solution…