Qui sont les jeunes éleveurs installés avec un bac+5 ?
TNC le 17/06/2024 à 14:51
C'est ce qu'a voulu savoir l'Institut Agro Rennes-Angers à travers une étude menée auprès de certains de ses anciens élèves devenus éleveurs, ces derniers étant de plus en plus nombreux à avoir ce niveau de diplôme. L'objectif était de mieux appréhender les atouts et manques de leur formation pour s'installer en agriculture, et notamment en élevage, les difficultés spécifiques qu'ils rencontrent, et leur vision du métier, actuelle et pour l'avenir.
« De plus en plus d’éleveurs ont un bac+5. Plusieurs sont d’anciens élèves », constate Anne-Lise Jacquot, enseignante-chercheuse en productions animales à l’Institut Agro Rennes-Angers, spécialisée dans les conditions de travail en élevage. Une observation que confirme le recensement agricole de 2020 qui montre que les exploitants agricoles sont de plus en plus diplômés.
« Nous avons voulu savoir s’il y a des profils types de jeunes installés avec ce niveau de diplôme ou plus : sexe, âge, formation, système, implication dans les filières, poursuit-elle. Mais aussi si un lien existe entre leur système de production, leurs motivations et le regard qu’ils portent sur l’agriculture. »
« Nous voulions également mieux cerner leurs difficultés à l’installation et au quotidien, car leur formation ne les destinait pas à priori à devenir agriculteur, de même que leurs satisfactions dans l’exercice de leur profession et leurs projets futurs. » (cf. précisions sur l’échantillon, le contexte et la méthode en fin d’article)
Que pensent-ils du cursus bac+5 ?
66 % des éleveurs interrogés pensent que l’objectif d’une école d’ingénieur agri/agro n’est effectivement pas de former des exploitants agricoles. 34 % sont toutefois « favorables à un cursus spécialisé sur l’installation » dans ces établissements. Ils le reconnaissent cependant : la formation d’ingénieur présente des intérêts indéniables pour leur métier d’agriculteur. Elle leur apporte en effet « une ouverture d’esprit » et une vision diversifiée des systèmes agricoles français. En outre, elle les prépare à « la gestion de projet ».
À l’inverse, ils évoquent des compétences techniques (33 %), de gestion/comptabilité (25 %) et d’organisation insuffisantes, ainsi que le peu d’expériences terrain (25 %), d’enseignements dédiés à l’installation et « d’ouverture sur le monde agricole ». Pour autant, « la quasi-totalité des répondants jugent que le bac+5 n’est pas indispensable pour être éleveur », fait remarquer Anne-Lise Jacquot.
Quels projet et parcours d’installation ?
Malgré ce qu’ils viennent de dire, 63 % des producteurs enquêtés projettaient déjà durant leurs études de s’installer en agriculture. « En moyenne, ils ont travaillé cinq ans avant de se lancer, majoritairement dans le secteur agricole », précise l’enseignante-chercheuse. Et même s’ils trouvent qu’ils n’ont pas été suffisamment préparés à l’installation, seuls 54 % ont réalisé des formations complémentaires, le plus souvent de courte durée (BPREA, CS) ou sous forme de stages.
59 % se sont installés hors cadre familial (34 % de reprises et 20 % d’insertions dans une structure pré-existante) et 72 % sont satisfaits de l’accompagnement à l’installation (effectué pour la plupart avec la chambre d’agriculture). Les freins cités en priorité sont d’ordre financier, relationnel et organisationnel (au sein du collectif de travail).
Leur ont donné envie d’exercer ce métier, principalement : les relations avec les animaux (63 %), le fait d’être son propre patron (61 %), loin devant le sens du métier (32 %).
Temps et conditions de travail
56 % travaillent plus de 50 h/semaine, ce qui est similaire à l’ensemble des agriculteurs. Ce temps de travail varie énormément d’une exploitation à l’autre : il peut être de 35 comme de 60 h/semaine ! C’est en production bovine ou mixte que le volume horaire est le plus important. Et plus il augmente, plus la pénibilité physique se ressent. 7 éleveurs sur 10 jugent d’ailleurs leur travail intense physiquement. Pour 68 %, les troubles musculo-squelettique sont déjà une préoccupation.
Pour réduire le temps de travail, 46 % se tournent vers le salariat ou la délégation de travaux, 37 % la mécanisation et 27 % la robotisation. Malgré cette dernière, contrairement à ce qu’on pourrait penser, le volume de travail horaire peut rester élevé, de même que la pénibilité, comme le montre une analyse plus fine des résultats.
La majorité des enquêtés prend 8 à 15 jours de congés par an. Le nombre d’ateliers n’influe pas, à la différence du volume d’heures travaillées : plus il est conséquent, moins les producteurs partent en vacances. « Ceux qui ont trouvé une organisation pour se libérer du temps au quotidien y parviennent aussi pour les congés, jusqu’à trois à quatre semaines par an », indique Anne-Lise Jacquot. Pour les vacances, 37 % ont recours au service de remplacement.
Rentabilité et revenu
Intéressant également, 97 % considèrent « leur situation financière satisfaisante au regard de leurs objectifs initiaux ». Le salaire moyen par exploitant est de 1 944 €. 27 % se prélèvent 1 à 1,5 Smic net et 32 % 1,5 à 2 Smic. 30 % touchent, en revanche, moins que le Smic.
Quelle vision de l’agriculture ?
30 % se déclarent « mitigés ». « Leur métier ne sera pas facile, mais quand même faisable », estiment-ils. 27 % sont plutôt confiants et, inversement, 22 % assez « négatifs ». 7 % sont très « pessimistes », notamment vis-à-vis des politiques publiques et agricoles, affirmant que « l’agriculture va droit dans le mur ».
Seuls 12 % ont une grande confiance en l’avenir. D’après eux, « le secteur et le pays vont bien ». Ils sont « fiers d’être agriculteurs » parce que leur profession « répond à de nombreux enjeux ».
4 profils de jeunes éleveurs
Ce travail a, par ailleurs, mis en évidence la typologie suivante chez les jeunes éleveurs titulaires d’un bac+5.
Profil 1 : se rendre utile, produire sain, préserver l’environnement
– Installation à plusieurs, hors cadre familial
– Productions labellisées
– Transformation à la ferme
– Vente en circuits courts (magasins de producteurs)
– Choix de races locales ou à faible effectif
Profil 2 : faire perdurer l’entreprise familiale
– Installation en individuel
– Productions certifiées
– Filières longues
– Délégation du travail
– Forte sensibilité à l’environnement
Profil 3 : être au contact de la nature
– Installation à plusieurs, dans le cadre familial
– Recours au salariat
– Partiellement satisfaits de leur revenu
– Besoin de retrouver du sens
– Difficultés à l’installation : l’administratif, la charge mentale
Profil 4 : entreprendre
– Installation en individuel, en création d’entreprise
– Approche technique
– Recours au salariat
– Mécanisation et robotisation importantes
– Partiellement satisfaits de leur revenu
– Goût du défi et des stimulations intellectuelles
– Difficultés à l’installation : la charge mentale, la pénibilité physique
En reprenant, pour partie, les items ci-dessus :
Profil 1 | Profil 2 | Profil 3 |
Profil 4 |
|
Projet |
Pas de changement du projet Accompagnement Formations complémentaires |
Changement de projet Accompagnement Pas de formations |
Changement de projet (tous) Accompagnement Formations complémentaires |
Changement de projet Accompagnement Formations |
Temps |
4,9 UTH Temps de travail |
2,25 UTH Recours au salariat |
2,7 UTH Recours au salariat |
3,7 UTH Recours au salariat, |
Vision de leur entreprise |
Court terme : améliorer Long terme : s’adapter |
Court terme : améliorer Long terme : craintes vis-à-vis du changement climatique |
Court terme : stabilisation du projet Long terme : s’adapter |
Court terme : développement Long terme : maintien des performances dans la durée |
Vision de l’agriculture |
Plutôt optimiste + collective (filière) |
Mitigée à optimiste Individuelle (exploitation) |
Mitigée + collective (filière) |
Optimiste + collective (filière) |
Engagements extérieurs |
Formation Implication dans OPA |
Travail avec OPA (Ocel, centres Implication dans OPA |
Travail avec OPA (Gab, Implication dans OPA |
Travail avec OPA (conseil spécialisé, coopératives) Implication dans OPA |
Ainsi, ces éleveurs avec un bac+5 ont pratiquement tous fait évoluer leur projet pendant leur parcours à l’installation, durant lequel la majorité a effectué des formations complémentaires (sauf ceux installés dans le cadre familial). Côté charge de travail, les « entrepreneurs » sont ceux qui totalisent le plus grand nombre d’heures travaillées et le moins de jours de congés.
Or, l’amélioration du temps et des conditions de travail figurent dans les objectifs à court terme des profils 1 et 2, ceux des « entrepreneurs » et « proches de la nature » étant plus en lien avec l’activité elle-même. Sur le long terme par contre, le changement climatique les inquiète tous. Pour aborder l’avenir de manière plus optimiste, ils sont aussi unanimes : un travail collectif, au sein des filières, sera nécessaire.
Globalement, on peut voir une grande diversité de modèles, mais « une préoccupation commune autour du travail, que les jeunes essaient de réduire et faciliter par différents moyens (salariat, délégation, mécanisation, robotisation, pratiques simplifiées) », analyse l’enseignante-chercheuse. Autre similitude : ils sont satisfaits de leur revenu. Enfin, les labels sont très présents : produire différemment semble être une volonté « et/ou un moyen d’apporter de la valeur ajoutée ».
Les motivations également sont diverses : « certaines sont techniques, d’autres entrepreunariales, mais l’environnement est souvent mentionné ». Le frein majeur au moment de l’installation : s’intégrer dans le milieu et dans le collectif de travail. « Il s’agit d’une étude exploration avec un échantillon de petite taille, nuance cependant Anne-Lise Jacquot. Il faudrait élargir à des systèmes d’exploitation et des profils bac + 5 plus diversifiés. »
« Et creuser davantage les liens entre les modalités statistiques (entre le salaire et le durée d’installation par exemple), ainsi que les profils avec une approche qualitative. Un zoom sur les Nima détenteurs d’un bac + 5, sans formation agricole (les HCF ici ont en ont une), serait également intéressant car c’est un vivier pour le renouvellement des générations mais leur perception du métier est souvent en décalage avec les fermes à reprendre. Savoir pourquoi certains projets d’installation n’ont pas abouti pourrait certainement enrichir la réflexion. »