Selon le Sénat, la France s’oriente vers un déficit commercial agricole dès 2023
TNC le 13/06/2019 à 06:02
Dans un rapport d’information déposé fin mai 2019, la commission des affaires économiques du Sénat estime « qu’au rythme actuel de décroissance », la France constatera son premier déficit agricole et agroalimentaire dès 2023. Le Sénat pointe notamment du doigt des charges trop élevées, la « sur-réglementation » et « des fragilités structurelles » venant plomber la compétitivité de nombreuses filières agricoles.
Sur le terrain des échanges commerciaux, le secteur agricole français serait-il sur le point de s’asseoir sur le banc pour ne devenir qu’un observateur dépassé par la montée en force des « grands » pays agricoles comme le Brésil, la Chine ou la Russie ? C’est, dit autrement, la principale conclusion d’un rapport sénatorial sur l’évolution de la « puissance agricole » française, déposé fin mai 2019 par le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb.
L’élu de Haute-Loire, qui a déposé cette analyse au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, note que « l’indicateur de l’excédent commercial de produits agricoles » cache trois « évolutions alarmantes ». Et d’une : « La production agricole française stagne en volume alors que celle de ses concurrents augmente ». Et de deux : « L’excédent commercial agricole, qui est surtout constitué d’un excédent de la filière viticole, risque de disparaître si la tendance actuelle se poursuit ». Et de trois : « les importations de produits agricoles augmentent alors que leur respect des normes exigées en France n’est pas assuré ».
L’excédent agricole divisé par 2 en seulement 6 ans
« L’excédent agricole français tend à disparaître », s’alarme le sénateur. Il a ainsi été divisé par deux entre 2011 et 2017 en euros courants, ce qui constitue un recul historique, d’autant plus préoccupant que la tendance semble structurelle. À ce rythme de décroissance, la France constatera son premier déficit agricole en 2023 », estime-t-il.
« Ne se targue-t-on pas avec un certain chauvinisme que l’agriculture représente le troisième excédent commercial français après l’aéronautique et les cosmétiques ? En fait, « sans le vin et les spiritueux, la France aurait un déficit commercial agricole de plus de 6 Mds€ ». « Il conviendrait davantage de parler du secteur vitivinicole et des spiritueux comme source du troisième excédent commercial français. »
Néanmoins, « quatre filières tirent leur épingle du jeu et maintiennent d’importants excédents commerciaux : les céréales, notamment le blé et l’orge (+ 4 Md€), les produits laitiers (+ 3,8 Md€), l’exportation de bovins, ovins ou de volailles vivants (1,6 Md€) et les sucres (+ 0,6 Md€) », relève le parlementaire.
A y regarder de plus près, c’est surtout le solde agroalimentaire avec les autres pays européens qui a fondu. En 2010 et 2011, la France exportait, en valeur, quasiment autant vers ses voisins européens que vers les pays tiers. Depuis, alors que les exportations vers pays tiers se maintiennent au-dessus de 6 Mds€, les exportations intracommunautaires ont quasi disparu. En 2017, le solde agroalimentaire avec l’UE n’était que de 300 M€. « Il en résulte que la France est probablement d’ores et déjà devenue déficitaire avec les pays européens. »
La SAU, facteur très limitant face aux géants mondiaux
Sur le plan structurel, l’agriculture française doit faire avec un handicap majeur : sa surface agricole utile diminue incessamment depuis les années 60. « La surface agricole consacrée à l’agriculture a chuté en France de – 17 % depuis 1961, soit une diminution de près de 60 000 km², c’est-à-dire l’équivalent de la région Grand-Est ». « Ce mouvement concerne toute l’Union européenne particulièrement l’Italie) alors que d’autres grands États augmentent considérablement leur surface agricole utile, comme le Brésil, la Chine ou l’Argentine. Les Etats-Unis et la Russie, malgré un potentiel de développement agricole plus limité, parviennent à la maintenir.
La main-d’œuvre, l’autre pilier du potentiel productif français, suit également une tendance alarmante. « L’agriculture et l’alimentation représentaient près de 12 % de l’emploi total en 1980 contre 5,5 % aujourd’hui, la chute étant expliquée essentiellement par le recul de l’emploi agricole, qui pourrait se poursuivre en raison des nombreux départs à la retraite à venir. » Rappelons qu’environ un tiers des exploitants ont 55 ans ou plus.
L’équation s’avère assez simple : avec une surface agricole non extensible, la production agricole française stagne depuis la fin des années 90.
« La production de céréales plafonne depuis de nombreuses années déjà, en raison de la stabilité tant de ses surfaces que de ses rendements. La production française de viandes bovines baisse depuis 20 ans, de manière concomitante à un recul de la consommation individuelle (au rythme de – 0,5 kg de viandes par habitant et par an depuis 1990). Enfin, la production nationale de lait est actuellement proche de celle qui prévalait au moment de la mise en œuvre des quotas en 1984, mais avec un effectif de vaches laitières qui a été divisé par deux, ce qui traduit de considérables gains de productivité obtenus par les éleveurs. »
Des charges plus élevées et la sur-réglementation pointées du doigt
Laurent Duplomb relève trois facteurs de cette fonte du solde commercial agricole et, donc, de la compétitivité du secteur agricole. « L’agriculture et l’industrie agro-alimentaire sont confrontées à un dumping social très important organisé par leurs principaux concurrents européens dans le but de rogner leurs parts de marché. » Et les écarts salariaux continuent d’augmenter au sein de l’Europe. « Le coût horaire français a augmenté de 58 % entre 2000 et 2017, presque deux fois plus rapidement qu’en Allemagne. »
Le sénateur rappelle aussi la tendance française à la « sur-réglementation », « qui se manifeste en France par des surtranspositions que ne réalisent pas d’autres pays européens ». « D’après l’OCDE, le degré d’exigence des politiques environnementales était bien supérieur en France que dans la moyenne des autres pays. »
Troisième facteur aggravant : la fragilité de l’industrie agroalimentaire. « La faible structuration de certaines filières contribue enfin à freiner la compétitivité hors-prix des produits français. La très forte atomisation des acteurs agricoles entrave en effet l’investissement mais aussi la constitution d’une stratégie efficace de conquête des marchés internationaux. »
De l’autre côté de l’équation commerciale, les importations de produits agricoles ont bondi ces dernières années. « Depuis 2000, les importations ont été presque doublées en France (+ 87 %) tandis que les exportations, dans le même temps, augmentaient de 55 %. Les importations couvrent une part de plus en plus importante de l’alimentation des Français. » « Même dans le secteur des produits laitiers, où la France dispose de positions solidement établies, la valeur des importations a été multipliée par deux entre 2005 et 2017, compte tenu de l’augmentation des importations de fromages et de beurre. »
Les montées en gamme, « stratégies peu lisibles à l’export »
Comment, alors, faire face à cette tendance alarmante ? Le Sénat est très critique sur la stratégie souhaitée par Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Elysée. « Prétendre vouloir sauver l’agriculture française uniquement par la montée en gamme est une illusion. Cela ne règlera en rien le problème des importations tout en menaçant certaines positions exportatrices », explique Laurent Duplomb.
« Certains choix de spécialisation, portés vers l’alimentation haut de gamme, ont des possibilités de pénétration sur les marchés internationaux limitées. Les stratégies de compétitivité consistant à associer qualité et origine géographique sont, en réalité, peu lisibles sur les marchés à l’exportation. » « L’enjeu est plutôt de conserver la diversité de l’agriculture française capable de couvrir toutes les gammes. »
Pour le Sénat, il s’agirait de « conquérir des marchés là où la demande va exploser » en raison de la démographie. « Or, c’est là où la demande va augmenter dans les années à venir, notamment l’Afrique, qu’en moyenne la France perd le plus de parts de marché depuis 2000 », s’inquiète encore l’institution.