S’installer, s’engager : « Le principal frein, c’est nous, agricultrices »

« On se met trop de pression, de charge mentale, par rapport à notre métier, la maison, la famille », constate Ophélie Le Goff, agricultrice dans le Finistère depuis 2015. Mais pas question, pour elle et Marie Caresmel, installée en 2024 en Ille-et-Vilaine, de renoncer à leurs engagements professionnels et en dehors de la ferme, tant ils les « nourrissent » et les « épanouissent ». Sans eux, elles ne seraient ni bien dans leur tête, leurs bottes et leur famille.

À travail égal, engagement égal

« Que mon mari soit sollicité, à plusieurs reprises, pour prendre des responsabilités, et pas moi, ça m’a piqué. J’ai pensé : « ce n’est pas juste, on travaille à égalité sur la ferme » », témoigne Ophélie Le Goff, en Gaec avec lui à 50-50 depuis 2022, comme elle l’était avec son père depuis son installation en 2015. Son époux venait en outre d’un autre secteur d’activité, la boulangerie, et a été conjoint collaborateur pendant sept ans, avant de remplacer son beau-père.

J’ai dit : « stop, ce n’est pas juste ! »

« J’ai dit « stop », on ne peut pas continuer comme ça. Il n’y a pas de raison que lui, seul, trouve du temps pour l’engagement et développe son réseau. Moi aussi, je voulais sortir de l’exploitation et m’impliquer professionnellement », poursuit-elle, avant d’enchaîner : « Il a tout de suite compris, jugeant cette répartition injuste également. » Assurant déjà pas mal de tâches ménagères, il a proposé d’en effectuer davantage. Par ailleurs, leurs deux fils, qui ont grandi, les aident au quotidien, à la maison et dans leur travail.

Agenda partagé au sein du couple

Les éleveurs ont mis en place un agenda partagé. Premier arrivé, premier servi ! Celui qui crante une réunion, sur un créneau libre bien sûr, immédiatement identifiable, est prioritaire. L’autre déclinera toute sollicitation ultérieure aux mêmes dates et horaires. Une façon de fonctionner qui demeure toutefois assez souple : le couple arrive toujours à s’arranger. « Nous savons en un coup d’œil qui est là ou pas, et les impératifs de chacun, pro, perso, familiaux, renchérit la jeune femme de 34 ans.

Premier arrivé, premier servi !

L’éleveuse de vaches laitières et porcs (naisseur-engraisseur), sur une centaine d’hectares dans le Finistère, est présidente d’une instance syndicale cantonale depuis janvier dernier, après avoir été simple membre. « Je m’étais mis une sacrée charge mentale sur le dos, vis-à-vis de mon métier, de la maison, des enfants…, reconnaît-elle. Le principal frein pour s’installer en agriculture et s’engager dans des organisations professionnelles agricoles en étant une femme, c’est nous, les agricultrices !! »

« Une sacrée charge mentale sur le dos »

« On se met trop de pression ! Ce n’est pas grave si tout n’est pas parfait. » L’important, selon elle, est en effet de « suivre ses envies pour aller bien, soi ainsi que sa famille ». Si l’implication dans des OPA peut « faire peur » à certaines, il est possible de « commencer petit » pour tester sa motivation, ses capacités. Puis, « d’avancer progressivement », conseille-t-elle.

Notre force : notre sérénité.

« Notre force est notre sérénité, notre manière d’arrondir les angles, pour désamorcer les conflits », met en avant la productrice. Un réel atout dans les structures syndicales, où se confrontent des idées différentes. Ophélie Le Goff tient à être « une cheffe d’entreprise indépendante ». Si elle a parfois entendu « il est où le patron », elle a « appris à répondre et prendre du recul », ces remarques et comportements sexistes n’étant pas majoritaires.

« L’implication nourrit »

Ne pas rester sur sa ferme, s’impliquer à l’extérieur, est tout aussi essentiel pour Marie Caresmel, installée en 2024, pour « échanger, apprendre, s’épanouir ». Un « apprentissage mutuel » puisque ses engagements sont agricoles (elle fait partie du comité professionnel « Agriculture au féminin 35 » de la chambre d’agriculture), mais pas que. Adjointe au maire et au bureau de l’Ogec (organisation de gestion de l’enseignement catholique) de l’école de ses enfants, elle côtoie d’autres milieux et en profite pour parler de son métier. Et surtout casser certaines idées reçues, souvent fausses, sur l’agriculture.

Échanger, apprendre, s’épanouir.

Cette implication la « nourrit » et lui « ouvre des portes ». Elle permet de « voir qu’il n’y a pas que l’exploitation », et d’autres problèmes que les siens. L’occasion enfin de « prendre soin de soi », de troquer la cotte et les bottes contre une tenue plus élégante. Après avoir été salariée agricole 14 ans, et conjointe collaboratrice durant 2 ans, Marie s’est associée en EARL avec son mari. Lui aussi est très pris entre le bureau de la Cuma et la présidence de l’Ogec.

« Quand je suis partie, il gère, les enfants notamment, nous nous entraidons, ce n’est pas un problème. On les a faits à deux, normal d’être deux à s’en occuper ! », estime la maraîchère de 38 ans (10 ha en bio avec vente directe à la ferme, en casiers automatiques, en magasins spécialisés et moyennes/grandes surfaces). Comme les enfants âgés désormais de 10 et presque 14 ans, le couple peut les laisser lorsqu’il s’absente. « On n’est pas loin, on a notre portable sur nous ! », lance-t-elle.