Solutions juridiques pour les fermes à capitaux importants
TNC le 25/06/2021 à 08:58
Parallèlement à l'agrandissement des exploitations agricoles, les capitaux des fermes à céder augmentent logiquement, au niveau financier comme en termes de moyens de production et de main-d'œuvre. Et les problématiques de foncier, de travail et de relations humaines prennent aussi de plus en plus d'importance. Tour d'horizon des outils disponibles et des points de vigilance avec Olivier Pavageau, juriste chez Icoopa.
La transmission par reprise d’actifs
Cette méthode, la plus classique, repose sur la vente des :
- biens immobiliers : les terres, les bâtiments de l’exploitation et parfois la maison d’habitation, ce qui impose de faire appel à un notaire ;
- biens mobiliers : le matériel, le cheptel, le stocks, les DPB, les parts sociales de coopératives, le fonds agricole et la clientèle s’il y en a, celle-ci étant « actée et rédigée par un notaire ou non au travers d’une cession mobilière », explique Olivier Pavageau, juriste chez Icoopa.
Attention :
- à prendre en compte, pour les bâtiments, les accès, ainsi que l’alimentation en eau et en électricité. Un certain nombre de diagnostics devront également être effectués.
- à bien lister le petit matériel. « Cela peut paraître anodin, mais une fois la vente réalisée, tout ce qui est présent dans les bâtiments est considéré comme vendu et cela peut être source de conflits. »
Tout ce qui dans les bâtiments est considéré comme vendu.
La transmission par reprise de société
En effet, « pour les exploitations à capitaux importants, les cédants sont souvent déjà en association ». Ils peuvent alors « avoir plusieurs sociétés d’exploitation et/ou immobilières ».
L’opération est plus compliquée à comprendre, met en garde Olivier Pavageau. « Le rachat de chaque société va se traduire par le rachat des parts sociales et le remboursement des comptes courants des associés, poursuit-il. La contrepartie de cette transaction consiste en la reprise de l’ensemble des éléments qui composent le bilan comptable. »
Il faut donc savoir précisément de quoi est composé l’actif : les biens mobiliers et immobiliers comme pour la reprise d’actifs mais aussi les créances et les comptes bancaires. De plus, il faut connaître la composition du passif : les dettes d’exploitation, les emprunts, les comptes courants des associés et le capital de la société.
Toutefois, des outils juridiques existent :
- La cession des parts sociales
« C’est un contrat de vente pour lequel il faut veiller à garantir l’actif et le passif financier, fiscal et social. D’où la nécessité de faire des visites préalables afin réaliser un inventaire au jour de la vente des parts sociales et de le comparer avec ce qui est mentionné dans le bilan. »
Un contrat de vente où il faut garantir l’actif et le passif.
- L’assemblée générale extraordinaire
Elle rend officielle l’arrivée du nouveau membre dans la société et le départ de l’ancien associé, et détermine les modalités de remboursement du compte courant associé : recours à un prêt bancaire, utilisation de la trésorerie de la société, étalement de la dette dans le temps.
Ici, il faut être vigilant :
- sur la valeur des parts sociales à reprendre ;
- les règles d’affection du dernier résultat comptable du cédant ;
- les modalités de remboursement du compte courant associé. « Si ce dernier est négatif, c’est bien l’associé qui part qui doit de l’argent à la société », précise le juriste.
La donation dans le cadre familial
Avec l’augmentation des capitaux à reprendre, elle est de plus en plus fréquente.
Elle peut avoir lieu en ligne directe, entre parents et enfants. Recourir à un notaire est conseillé car il s’agit de « donner une partie de son patrimoine en avance de la succession ». Autrement dit, cela revient à « transférer gratuitement la propriété d’un bien » que ce soit de l’argent, des biens immobiliers (terres, bâtiments, parts sociales) ou mobiliers (cheptel, stocks).
En amont de la succession, transférer gratuitement la propriété d’un bien.
Plusieurs types de donation sont possibles :
- en partage d’une partie du patrimoine, la plus courante ;
- en avance d’hoirie, en amont de la succession.
Fiscalement, ce dispositif est avantageux car il permet de bénéficier d’abattements sur les droits de donation en ligne directe, à hauteur de 75 % plafonnés à 100 000 € par enfant et parent via le Pacte Dutreil. On peut aussi obtenir un sursis d’imposition sur les plus-values que génère la transmission de l’entreprise individuelle ou des parts sociales.
Avantageux fiscalement : abattement sur les droits de succession.
À surveiller : l’équité entre héritiers et le démembrement de propriété. « Les donations peuvent s’effectuer avec des réserves d’usufruit par exemple », indique l’expert.
La transmission avec repreneurs multiples
Face à des exploitations à céder de plus en plus grandes, les repreneurs vont être amenés à s’associer.
Parfois avec les cédants également, qui vont rester quelque temps dans la société. Les avantages : ces derniers vont pouvoir transmettre leurs connaissances et savoir-faire à leurs successeurs, et le coût de la reprise sera étalée avec un rachat progressif des parts sociales. Il arrive que la transmission soit réalisable au prix « d’un effort financier » de leur part. « Dans ce cas, ils continuent de faire partie de la société en tant qu’associés non exploitants et conservent une créance soit au travers d’une dette avec reconnaissance et éventuellement échelonnement dans le temps et/ou un prêt familial. »
Partage de connaissances et savoir-faire + étalement du coût de reprise.
Là encore, des outils juridiques sont disponibles :
- les statuts de société fixant les règles juridiques (droits attachés aux parts sociales, au résultat, au vote, modalités de prise de décision collective, rôle de chacun et du gérant) ;
- le règlement intérieur déterminant le fonctionnement (répartition et charge de travail, rémunération, partage du résultat) ;
- le pacte d’associés définissant les méthodes d’évaluation des parts sociales en cas de futur retrait d’un membre de la société. « Pour bien réussir son association, il faut commencer par envisager sa fin », appuie Oliver Pavageau.
Les montages multi-sociétaires
« Depuis plusieurs années, le monde agricole tend vers celui des affaires, fait remarquer le spécialiste. En plus de s’associer pour s’installer, il faut parfois reprendre plusieurs sociétés. On observe de plus en plus de montages juridiques ressemblant au droit des affaires, avec des exploitations hébergées dans des sociétés civiles agricoles, classiques de type Gaec, SCEA, EARL ou moins, telles que des sociétés commerciales à objet agricole comme les SARL ou SAS. » En particulier, les terres peuvent être intégrées à une SCI (société civile immobilière) ou un GFA (groupement foncier agricole). « On voit un nombre croissant de holding, des sociétés prenant des participations dans d’autres en vue d’un rachat ou pour utiliser des excédents de trésorerie consécutifs à une vente ou générés par la société d’exploitation. »
À savoir : ces montages financiers peuvent se faire entre les repreneurs seuls ou avec les cédants, voire avec des investisseurs extérieurs. Sachant que souvent ce sont des parents ou des proches des repreneurs.
Les investisseurs extérieurs sont souvent des proches.
Les points de vigilance : les engagements contractuels principalement, comme les contrats de travail des salariés, de production, administratifs et environnementaux (installations classées, liés à la Pac, aux MAE par exemple).
Dans tous les cas : des protocoles d’accord
L’objectif : sécuriser la transmission tant pour les cédants que les repreneurs.
« C’est une sorte de contrat entre les vendeurs et les acheteurs pour :
- acter les engagements de chacun,
- désigner les biens en arrêtant un prix pour chacun ou au moins la méthode de calcul,
- garantir la bonne exécution de la transaction avec une clause de dédit qui va obliger la partie qui se désengage à rembourser l’autre,
- fixer les conditions suspensives mettant fin aux engagements de chacun sans indemnité,
- sécuriser le foncier à travers des promesses de vente et/ou de baux,
- déterminer la date de réalisation de l’opération,
- convenir des frais de la transaction de notaire, juridiques, comptables, administratifs,
- prévoir les événements entre ces protocoles d’accord et la vente effective. Car il peut se passer plein de choses : aléas climatiques, problèmes sanitaires, accidents de la vie. »
À retenir : ces outils peuvent tous s’avérer utiles et « leur combinaison est la clé de succès de la transmission », conclut l’expert.
Source de l’article : webinaire, organisé par la chambre d’agriculture de Bretagne, dans le cadre de la semaine régionale de l’installation et de la transmission, du 20 au 27/11/20 et de la Quinzaine de la transmission/reprise d’exploitations agricoles 2020 déployée à l’échelle nationale dans tout le réseau.