Taxes Trump : en Bourgogne, les vignerons s’estiment « pris en otages »
AFP le 17/03/2025 à 13:15
« On est pris en otages » : menacés de droits de douane prohibitifs, les vignerons de Bourgogne, pour qui le marché américain est le deuxième après la France, ont l'impression de faire les frais d'une guerre entre Donald Trump et l'UE qui les dépasse.
« Avec une augmentation de 200 %, c’est clairement un arrêt de la commercialisation de nos produits aux États-Unis », avertit sans ambages Damien Leclerc, directeur général de la coopérative La Chablisienne, premier producteur de Chablis (Yonne), dans le centre de la France. « La conséquence, elle sera dramatique », ajoute-t-il au milieu d’immenses cuves inox où repose ce très prestigieux vin blanc de Bourgogne.
Jeudi, le président américain Donald Trump a menacé d’imposer des droits de douane de 200 % sur les vins et alcools de l’Union européenne, si elle ne retirait pas les taxes de 50 % annoncées sur le bourbon américain.
« Ça serait une catastrophe. Ça pourrait porter nos bouteilles à 200 dollars », lâche Thiébault Huber, président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB). « Ça serait cataclysmique », renchérit Laurent Delaunay, président du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB).
Au-delà des chiffres, les vignerons bourguignons ont surtout le sentiment d’être les dindons de la farce. « On a un sentiment amer et d’injustice parce qu’on a l’impression d’être des otages de ce conflit qui nous dépasse complètement. Nous sommes des victimes collatérales », regrette M. Delaunay.
« On en a un peu assez d’être systématiquement ciblés quand il y a un différend commercial, car le vin représente la France. On n’a aucun pouvoir dans ces situations », ajoute le président.
La filière avait pourtant prévenu qu’il ne fallait pas « agiter le chiffon rouge des bourbons devant l’administration Trump. Mais on n’a pas été écoutés », déplore M. Delaunay. « On est pris en otage, pas seulement par les États-Unis mais également par l’UE », juge lui aussi M. Huber.
« Un seuil psychologique »
« On a passé des journées au Salon de l’agriculture à parler aux parlementaires en leur disant : attention aux conséquences si vous taxez les whiskys mais nos messages n’ont pas été entendus », juge-t-il.
En Bourgogne, les menaces de Trump réveillent de très mauvais souvenirs. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait mis en place de 2019 à 2021 une surtaxe de 25 % sur le vin français, à la suite du conflit entre Airbus et Boeing.
Les bourgognes avaient alors vu leurs exportations chuter « de 25 % », se souvient Laurent Delaunay.
La Bourgogne est l’une des régions viticoles les plus exposées à une hausse des droits de douane américains : en 2024, les États-Unis ont en effet représenté 23,5 % du chiffre d’affaires et 21,8 % des volumes de vins de Bourgogne exportés.
C’est plus que la moyenne nationale : 21,2 % de l’ensemble des exportations de vin français en valeur et 15,7 % en volume sont exportés aux USA.
La Bourgogne a de plus récemment bénéficié d’un bond de ses ventes aux États-Unis (+ 16 % en volume et + 26 % en valeur). « Les États-Unis, c’est notre deuxième marché après la France », résume M. Huber.
Le dynamisme est particulièrement vrai pour les blancs qui forment 63 % des volumes exportés aux États-Unis et qui bénéficiaient d’un élan prometteur. Les ventes de Chablis aux États-Unis ont ainsi bondi de 9 % en valeur sur le premier semestre 2024 (dernier chiffre disponible).
« Nos vins blancs ont connu cette année un fort développement » aux USA, rappelle Damien Leclerc, de La Chablisienne.
Une hausse des droits de douane, même si elle se limite à 25 %, comme précédemment annoncée par M. Trump, viendrait stopper cette croissance en faisant « passer un seuil psychologique important puisqu’on serait au-delà des trente dollars » la bouteille, craint le directeur.
Mais la vindicte trumpienne pourrait se retourner contre les États-Unis, avertissent les vignerons. « Mon domaine vend à 60 % à l’export, dont un quart vers les USA. Donc je vais plus m’ouvrir à d’autres marchés », explique M. Huber, citant la Chine notamment. « Mais quand les US vont se réveiller, on n’aura plus de vins à leur vendre ».