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Ukraine et UE : vers une « coopération fructueuse » face aux exports russes ?


TNC le 09/09/2024 à 18:10
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Une alliance entre l'Ukraine et l'UE permettrait de rivaliser avec la Russie et se repositionner sur les marchés agricoles mondiaux, notamment céréaliers, explique Jean-Jacques René. (© Halfpoint, AdobeStock)

Vue comme un concurrent déloyal, « l’Ukraine peut occuper une place de choix au sein de l’Union européenne élargie », juge l’ingénieur et haut fonctionnaire Jean-Jacques Hervé. Il plaide pour la mise en place d’offre agricole commune sur le marché mondial, qui permettrait de contrer la domination russe tout en préservant les marges des agriculteurs de l’UE.

(article initialement paru le 6 septembre, modifié le 9 septembre) L’Ukraine est régulièrement montrée du doigt à cause de la concurrence entre ses productions et les céréales, le sucre ou encore les volailles européennes, d’autant plus depuis le début de la guerre. Et, les négociations avançant, bon nombre de voix agricoles s’inquiètent des conséquences d’une adhésion du pays à l’UE.

Mais l’Ukraine ne pourrait-elle pas renforcer l’UE agricole ? C’est le sujet d’une note de Jean-Jacques Hervé, ancien président de l’Académie d’agriculture de France et ancien conseiller du gouvernement d’Ukraine pour les questions agricoles, parue début juillet sur le site de la Fondation Robert Schuman : L’agriculture de l’Europe et l’agriculture d’Ukraine sont complémentaires.

Il rappelle combien l’agriculture ukrainienne est performante, riche de terres et de parcellaires favorables à une forte productivité, et combien les pays de la mer Noire sont des acteurs puissants du marché mondial des céréales.

Pourquoi tant de compétitivité à l’Est ?

L’auteur rappelle les avantages comparatifs des agricultures de la mer Noire par rapport à l’Europe occidentale, notamment dans les filières porcines et céréalières, soulignant que le cœur de la compétition n’est pas dans l’utilisation de molécules interdites dans l’UE, mais dans leurs coûts de production largement inférieurs.

Car leurs sols permettent de moins recourir aux engrais et, surtout, les parcelles sont plus grandes et les machines moins nombreuses et utilisées deux fois plus longtemps, d’où des immobilisations en capital plus de deux fois inférieures que dans les exploitations de l’UE.

Si bien que « lorsque l’agriculteur européen produit une tonne de blé à 180 ou 200 €, le producteur russe comme le producteur ukrainien mettent la même tonne d’un blé — qui peut de surcroît contenir deux points de plus de protéines — à environ 100 $ ».

Depuis l’invasion de février 2022, la compétition entre Ukraine et Russie sur les marchés céréaliers s’est amplifiée, poursuit Jean-Jacques Hervé. Malgré la réouverture de ses exports depuis la mer Noire, la première voit les marges de ses producteurs laminées par les coûts logistiques.

La seconde utilise ses exportations record pour renforcer son influence internationale, notamment en Afrique, où elle peut offrir des prix très bas en échange de soutien diplomatique.

Avec des faibles coûts de production, un potentiel de surfaces « encore sous-exploité » et des ressources abondantes pour la fabrication d’engrais et l’essor de l’irrigation, cette puissance exportatrice russe peut encore s’intensifier, alerte l’auteur. Menaçant les exports ukrainiens… mais aussi ceux de l’UE, dont les parts de marché en Afrique du nord diminuent.

Front commun contre le concurrent russe

L’auteur enjoint les pouvoirs publics et les structures agricoles de l’UE à changer de regard : voir la vraie menace qu’est la Russie et considérer l’Ukraine non plus comme un concurrent déloyal, mais un compétiteur aux atouts indéniables avec lequel nouer une coopération stratégique.

En amont d’une adhésion de l’Ukraine à l’UE, il propose de créer une offre commune d’exportation à des prix attractifs sur le marché mondial, en combinant les productions agricoles des deux régions, et leurs points forts : meilleure qualité protéique des blés de la mer Noire et fiabilité commerciale des Européens.

Cette approche reposerait sur une répartition équitable des marges, une forme d’autorégulation entre producteurs plutôt qu’une concurrence dominée par les géants mondiaux du négoce, et une coordination des flux logistiques vers les ports de l’Atlantique, de la mer du Nord, de la Méditerranée et de la mer Noire.

Il s’agirait ainsi de répondre à la concurrence russe tout en protégeant les producteurs de l’UE, et de renforcer les liens entre Ukraine et Europe agricoles, estime l’expert.

Qui insiste aussi sur l’importance de répondre aux besoins des jeunes générations européennes et ukrainiennes en termes d’installation et de revitalisation des zones rurales, et invite à « donner un cap nouveau et déterminé à une Pac déboussolée ».