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Marché des céréales

Vers un « fragile équilibre » sur le marché mondial du blé en 2023/24


TNC le 04/09/2023 à 09:15
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Disponibilités des blés russes

Le marché mondial du blé est bien approvisionné à court terme mais les stocks tendus chez les grands exportateurs vont réduire les disponibilités de la seconde partie de campagne, explique Agritel. La lourdeur de l’offre mondiale de maïs devrait tempérer la tension sur le blé, mais les risques géopolitiques et climatiques pourraient au contraire l’exacerber.

Quelles perspectives sur le marché mondial du blé tendre pour la campagne de commercialisation 2023/24 ? L’équilibre est fragile et pourrait le devenir encore plus, a expliqué l’analyste Alexandre Marie lors d’une conférence organisée par Agritel (groupe Argus Media), jeudi 24 août.

L’offre en blé est conséquente et le potentiel d’exportation élevé en Europe continentale sur ce début de campagne, a-t-il souligné.

Côté mer Noire d’abord, « la Russie conforte sa présence à l’international » : entre production massive et stock d’entrée important, la disponibilité approche comme l’an dernier les 105 Mt. Le rythme d’exports est pour l’instant soutenu et Agritel envisage une performance à l’export des blés russes sur 2023/24, à 49 Mt (48,1 Mt en 2022/23, 38 Mt en moyenne 5 ans). Pour la première fois, « la part de marché de la Russie approcherait un quart du commerce mondial ».

La disponibilité en blés russes est très conséquente pour 2023/24. ( © Agritel)

L’Ukraine n’est pas en reste, avec un niveau de production qui surprend les experts, permis par des « performances de rendements » et la « grande résilience des agriculteurs » à emblaver : 20,5 Mt de blé sont attendus pour la récolte 2023, contre un consensus à 18-19 Mt il y a quelques mois (21,5 Mt en 2022/23, 28 Mt en moyenne avant-guerre).

Alors que le pays a fortement développé l’export de ses céréales par des voies alternatives à la mer Noire depuis le début de la guerre – trains, camions, Danube -, il pourrait participer au marché de l’exportation du blé à hauteur de 13 Mt, selon Agritel (17 Mt en 2022/23, 18 Mt habituellement) et exporte plus que l’an dernier sur les premières semaines de campagne.

Quant à l’Union européenne, sa production moyenne et son stock d’entrée important lui confèrent « des disponibilités au-dessus de la normale ». Son potentiel d’exportation est au rendez-vous – à 33 Mt, contre une moyenne quinquennale à 32,1 Mt – et elle réalise « un bon début de campagne » à l’export.

La disponibilité cumulée de ces trois blocs avoisinerait donc 240 Mt pour 2023/24, « proche des récents plus-hauts » (251 Mt en 2022/23). Une lourdeur qui contribue à « peser sur les prix en début de saison » : il y a actuellement en Europe « beaucoup de dégagement à faire et une concurrence exacerbée ».

« On va vite tendre l’élastique »

Si la situation semble « plutôt confortable » pour l’instant en termes de disponibilités, elle devrait néanmoins se fragiliser « parce qu’exporter toute l’année des records depuis l’Europe continentale, ce ne sera pas possible, explique l’analyse. On va vite tendre l’élastique ».

D’autant plus que les disponibilités chez les autres exportateurs majeurs de blé (Kazakhstan, USA, Canada, Argentine, Australie) « reviennent sur les tranches basses de l’historique », ce qui laisse « peu de marge de manœuvre ». En cumul, « les huit principaux exportateurs voient leur production réduite à 374,7 Mt pour 2023/2024, soit une baisse de 23 Mt par rapport à l’an dernier », estime Agritel.

Autre élément de tension sur le marché mondial du blé : les importations de l’Inde et de la Chine devraient grimper. Tandis que la première a été présente à l’exportation ces trois dernières campagnes, elle vit un « retour de bâton » : face à l’inflation et dans un contexte électoral, elle multiplie les mesures pour détendre son marché local et importe massivement depuis la Russie.

La Chine devrait revenir en force dans les échanges de blé à l’importation : 14 Mt selon Agritel, « un record sur ces vingt dernières années ». À cause de pluies importantes en mai, le pays devrait de fait davantage valoriser son blé local en consommation animale, « alors que d’habitude ils le valorisent en consommation humaine ».

Un rationnement de la demande par le marché du maïs

Le rationnement de la demande en blé pourrait tempérer la tension sur le marché mondial. Cela devrait passer par « la lourdeur prévisionnelle du marché du maïs », analyse Alexandre Marie : les disponibilités des principaux exportateurs de maïs pour 2023/24 sont estimées à 647,4 Mt, contre une moyenne quinquennale à 605,8 Mt. Cette offre devrait « limiter le détournement de blé meunier vers les rations animales ».

Autre facteur de rationnement : la santé économique difficile des grands importateurs, qui limite leur pouvoir d’achat. À l’instar de l’Égypte et de ses « conditions de paiement assez désastreuses », ou du Maroc et de l’Algérie, qui s’ouvrent aux origines de la mer Noire, plus compétitives.

Si bien que « le commerce mondial du blé est timide » et devrait se contracter à 177,7 Mt chez les huit principaux exportateurs en 2023/24 : un recul de plus de 12 Mt par rapport à 2022/23.

Illustration des tensions sur le marché global du blé, Alexandre Marie souligne la fragilité attendue des stocks des principaux exportateurs en fin de campagne : 55 Mt, « ce qui est extrêmement sensible », un plus-bas depuis 2012.

Cela mènerait à un ratio stocks/utilisations de 14 %. Cet indicateur permet de juger du niveau de réserves face aux besoins potentiels ; la FAO considère qu’il doit dépasser le seuil de 17-18 % pour que la sécurité alimentaire mondiale puisse être assurée.

Les huit principaux exportateurs de blé n’ont pas de marge de sécurité. ( © Agritel)

Risques géopolitiques et climatiques

Cette fragilité globale pourrait encore être exacerbée si des pays d’importations ont plus de besoins que prévu, ou si de nouvelles contraintes géopolitiques et climatiques affectent les disponibilités estimées à l’heure actuelle.

Et là-dessus, le risque est bien là. L’équilibre géopolitique en mer Noire, qui représente 40 % des exportations mondiales de blé, est plus précaire que jamais. « 31 % des capacités d’exportations portuaires de grains sont à l’arrêt » dans cette zone, « et 54 % sont à risque suite à la récente escalade dans les tensions », rappelle Alexandre Marie.

Côté climat, un printemps très sec a provoqué « un nouvel accident de production au Canada » avec des rendements à 27 q/ha, « pas loin de l’accident de 2021 », qui devrait amener à 19,2 Mt les stocks nord-américains (contre plus de 30 Mt il y a quelques campagnes) et limiter les exportations.

Les regards se tournent alors vers l’hémisphère sud, qui commencera à récolter son blé dans quelques semaines. Et les craintes climatiques sont présentes, là aussi.

Les conditions de culture sont « historiquement basses » en Argentine, où la sécheresse a « perduré jusqu’au semis ». Estimé à 17,5 Mt fin août (19,5 Mt sur la moyenne quinquennale), le potentiel de production peut encore baisser « si la situation perdure sans précipitations régulières ».

De l’autre côté du Pacifique, l’Australie va vivre un phénomène El Niño après trois années de La Niña qui ont permis à la production de performer à 36 Mt en moyenne. « Le scénario du pire serait qu’El Niño s’exprime en septembre-octobre, au moment crucial de l’établissement du rendement », note Alexandre Marie. Auquel cas « on pourrait perdre 5 Mt », sur une production pour l’instant évaluée à 28,7 Mt.

Quelles perspectives de prix ?

Alors que l’été 2023 a été marqué par une « réelle détente des prix », qui retrouvent des niveaux proches de ceux de l’été 2021, à quoi peut-on s’attendre dans les semaines et mois qui viennent ?

Sans donner de chiffres ou de tendances, l’expert rappelle la lourdeur sur le marché des céréales fourragères à l’échelle mondiale, dirigée par l’offre de maïs et exacerbée à l’échelle européenne par le déclassement des blés fourragers. Un potentiel important pour l’alimentation animale qui plaiderait pour des prix plutôt bas pour le blé fourrager.

L’élastique reste en revanche « très tendu » pour le blé meunier, ajoute-t-il, suggérant des risques haussiers : côté climat, « les clignotants sont orange-rouge dans les pays concernés et les perspectives sont plus à la dégradation qu’à l’amélioration », et côté géopolitique « la sureté maritime ne s’améliore pas ».

« La fragilité des disponibilités mondiales de blé, les aléas climatiques et l’instabilité géopolitique » devraient continuer à alimenter la volatilité, conclut de son côté Agritel.